Il y a parfois des liens qui se tissent entre un interprète et un compositeur en particulier (et qui peuvent se prolonger jusqu'aux auditeurs, d'ailleurs). Rubinstein avec Chopin, Radu Lupu avec Schubert. Et Glenn Gould avec Jean-Sebastien Bach. Dans ce cas, c'est d'autant plus impressionnant que j'ai franchement l'impression que le génie du pianiste canadien ne s'exprimait pleinement que dans les œuvres de l'immense compositeur allemand. En effet, j'ai écouté Gould interpréter du Beethoven, ou du Mozart, et ce n'était pas aussi grandiose, loin de là (il faut dire aussi que j'aime beaucoup moins ces compositeurs, ça peut aider).
Gould a enregistré quatre fois les Variations Goldberg, mais deux de ces enregistrements sont devenus des références historiques, celle de 1955 et celle de 1981. La première marque le début de la renommée internationale du pianiste et la seconde marque la fin de sa carrière (il mourra en 1982). La porte d'entrée et de sortie de cet artiste atypique, asocial, angoissé...
La version de 1955 est une référence historique à part entière. Avant sa sortie, Les Variations Goldberg étaient une œuvre sous-estimée, très peu appréciée. On les considéraient comme un programme technique qu'on pouvait certes étudier mais qui n'avait que peu d'intérêt à l'oreille. Gould leur a donné vie.
Mais pourquoi refaire un autre enregistrement 26 ans plus tard ? La réponse est contenue dans deux données.
Variations Goldberg, version 1955 : 38 minutes.
Variations Goldberg, version 1981 : 51 minutes.
Entre les deux, Gould a fait la découverte de la lenteur. En 1955, il met dans l'enregistrement toute la fougue de sa jeunesse et la certitude de sa virtuosité. le résultat est impressionnant sur le plan technique, un véritable tour de force.
En 1981... Donnons-lui la parole :
"Il me semble que l'essentiel de la musique qui me touche vraiment profondément j'aimerais l'entendre (et évidemment la jouer moi-même) dans un tempo très pensif et très lent. Voyez-vous, autrefois, ce qui était capital pour moi, c'était la course rythmique précipitée ; mais, en vieillissant, j'ai eu de plus en plus l'impression que de nombreuses interprétations (dont, certainement, la majorité des miennes) étaient beaucoup trop rapides (...). C'est précisément le manque de tempi lents qui me dérange le plus dans mon vieil enregistrement des Variations Goldberg".
Ainsi, l'exercice de style est devenu une œuvre plus mature, cédant la place à un rythme lent, poétique et contemplatif. Cette version 1981 est, de très loin, ma préférée (de même que je préfère très largement une interprétation lente des suites pour violoncelles, du même Bach).
http://www.youtube.com/watch?v=Gv94m_S3QDo