Connaissez-vous Slick Rick ? Ce nom ne vous dira certainement rien. Pourtant en 1988, ce natif de Londres était au sommet du hip-hop américain. Les critiques spécialisées étaient unanimes : on tenait là la nouvelle référence du hip-hop. La forte personnalité de Rick, son style unique (il perdit son œil droit durant son enfance), le succès critique et commercial. Bref, tout pour devenir une légende ?
Sauf que non, le destin en décida autrement. La mère de Rick engagea son cousin Mike Plummer en tant que garde du corps. Ce dernier tenta d'extorquer de l'argent à la famille et menaça de mort les membres de celle-ci. Nous étions en 1990, à peine quelques mois après le succès de "The Great Adventures of Slick Rick". Celui qui allait rester dans les mémoires comme le maître du storytelling découvrait avec une étrange ironie que sa vie imitait ses chansons. Les tensions montèrent entre Rick et son cousin. Jusqu'au jour où le premier tira sur le second dans la rue. Une balle toucha Plummer et une autre un passant. Rick se vit condamné à cinq ans de prison. Il est rare que le peuple glorifie des criminels avérés. Slick Rick avait définitivement entaché son image et ne pourrait jamais devenir une légende. Plusieurs albums suivront mais le succès ne revint jamais.
Pourtant on ferait bien de revenir sur "The Great Adventures of Slick Rick", une véritable anomalie dans le paysage hip-hop d'alors. Du moins, pas au niveau de l'instrumentation. Celle-ci est particulièrement ancrée dans les années 80, ce qui pourra en rebuter certains. Boîtes à rythmes omniprésentes et scratchs agressifs, l'empreinte du Bomb Squad (connu pour leur travail avec Public Enemy), se fait sentir.
Il peut être difficile de rentrer dans le monde de Slick Rick. D'abord pour le côté dépassé de son instrumentation comme je l'ai déjà évoqué. Mais aussi parce que l'album s'apprécie comme une collection d'histoires sous la forme de morceaux. Des récits traitant généralement de la vie dans la rue, et des tragédies qu'elle peut entraîner ("Children's Story" deviendra son titre phare et une excellente représentation de son œuvre).
En conséquence, il faut faire attention aux paroles. Et c'est quand on remarque le soin apporté au texte que le phrasé de Rick parait encore plus impressionnant. Son accent anglais est plutôt inhabituel pour un rappeur US, ce qui permet une véritable originalité au niveau de son rythme et son flow. Slick Rick aime également multiplier les voix pour éviter la linéarité de ses morceaux. Les histoires qu'il raconte sont enrichies en effets sonores. Ces derniers restent synchronisés avec le reste de l'instrumentation pour ne pas casser l'immersion.
Le célèbre Robert Christgau démontera l'album à sa sortie. Pour des raisons valables cependant : la misogynie agressive du disque était insupportable à ses oreilles. Il n'a pas tort, car les morceaux sont gratinés envers la gente féminine : "Treat Her Like A Prostitute" donne le ton, ne serait-ce que pour son titre. "Indian Girl" est l'étrange histoire de Davy Crockett se retrouvant à séduire une jeune indienne et qui finira par s'apercevoir qu'une troupe de guerriers indiens… sort de son vagin. Oui oui. Les histoires de "The Great Adventures…" ont toute un petit côté malsain, amplifiée par la malicieuse voix du Ruler.
Sorti de nulle part débarquera le slow "Teenage Love", terriblement kitsch mais qui faisait fureur à l'époque. "Hey Young World" est le seul titre à peu près normal de l'album, un hymne à la jeunesse, une injonction à bien se comporter pour vivre une belle vie. Ironique quand on connaît l'histoire de Rick the Ruler non ?
L'album marquera assez la scène hip-hop du future pour que celle-ci s'inspire autant de son flow ou lui rende hommage par des samples. Biggie Smalls, Jay-Z, Black Star, DMX, Ice Cube, KRS-One... Ils seront nombreux à incruster les interventions de Rick sur leurs morceaux. Si ce dernier n'était pas retrouvé dans cette sordide affaire de famille, qui sait, peut-être serait-il aujourd'hui dans le panthéon des rappeurs américains.