"And all I ever got was oh!
'Are you never gonna go?'"
Pierre angulaire du mouvement glitter britannique et pourtant aussi inconnus et négligés que la période Arista d'Iggy Pop (première comparaison m'étant venue à l'esprit), Steve Harley et Cockney Rebel, son groupe, sont les auteurs d'une belle discographie, de quelques-uns des albums les plus intéressants que j'ai pu écouter dernièrement. Doué d'un sens pop unique et d'une signature sonore imitable, il est grand temps de réhabiliter Cockney Rebel comme groupe majeur. Nous allons parler aujourd'hui de leur première livraison, j'ai nommé The Human Menagerie, sorti en 1973 chez EMI.
A l'origine gratteux folkeux , chantant sous LSD ses compositions dans le métro, et accessoirement journaliste "rubrique animaux écrasés", Steven Nice vogue dans la vie, un peu à l'aveugle. Il est passionné par Bob Dylan, Highway 61 fut tout ce qu'il écouta en lisant Stenbeck et Hemingway lorsqu'alité il s'extirpa de la polio. Ce jeune homme peut être vu comme la personnification de l'errance hippie, larguée et noyée dans les hallucinogènes après les drames d'Altamont et les atrocités mansonniennes, entre autres. Il ère dans Londres, observe, écrit et fréquente les clubs folk, dont le Beckenham Art Lab, bien connu pour avoir servi de rampe de lancement à David Bowie.
Nice décide, qu'à cela ne tienne, de lancer son propre groupe, et puisqu'il revendique fièrement son appartenance à la classe ouvrière londonienne, les cockneys, son ensemble se nommera Cockney Rebel. Il change également de nom et d'apparence, devient Steve Harley, à cause des motos, naturellement. Une première partie chez Jeff Beck remarquée précède une signature chez EMI, qui les envoie illico à Abbey Road enregistrer leur premier album, sous la houlette, entre autres, de Geoff Emerick, l'ingé son des Beatles, rien que ça.
Il faut préciser que l'esthétique musicale de Cockney Rebel est tout à fait spéciale pour un groupe de rock'n'roll. Il s'est appliqué à remplacer la place lead que tient la guitare électrique pour la remplacer par un clavier et, surtout, un violon (!). Cette dite-guitare n'est renvoyé qu'à un rôle de soutien rythmique, parfois, laissant par la même occasion une place agrandie pour la basse onctueuse de Paul Jeffreys. Pour une formation catégorisée glam (quoiqu'elle verse plutôt dans l'arty honnêtement) c'est un élément à souligner. On est loin de Sweet ou de Slade, même de Ziggy Stardust ou de Roxy Music...
Pour pallier à ce manque (voulu) de guitare, la production déploie les grands moyens, orchestre symphonique, choeurs et tout ce que tu veux ... Les ballades dylannesques hallucinées d'Harley se transforment en odyssées sonores classiques, comptant même dans l'effectif les choeurs ayant participé au "The Long And Winding Road" des quatre de Liverpool.
En soit, The Human Menagerie constitue un tour de force absolument réussi et convaincant, tout en restant particulièrement éclectique et centré. Dès le titre d'introduction, "Hideaway" (qui est d'ailleurs une de mes chansons préférées toutes époques confondues), la couleur est donnée. C'est passionné, et quelle musique ! La basse et la batterie s'articulent parfaitement, le son est velouté, c'est un réel régal pour audiophile. Harley arrive à n'en faire qu'à sa tête, tout en restant absolument sérieux.
Les thèmes sont variés, "Death Trip" est un panorama orchestral de dix minutes consacré à une overdose à l'héroïne, très saisissant puisqu'on sent tout à fait le type en question mourir et se rendre compte qu'il s'embarque pour un voyage sans retour. Le dernier segment, s'ouvrant au piano peut sembler funéraire, il est mort, next. On trouve aussi des références à un narcisse (Marc Bolan?) dans le labyrinthique "Mirror Freak", ou encore et surtout la première chanson abordant de face une romance homosexuelle, l'épique "Sebastian", lyrique et magnifique, quasi-baroque aux accents à la "Atom Heart Mother". C'est avec le "Lola" des Kinks (qui parlait elle des transsexuels) les premières preuves écrites de la libération sexuelle libre de la société britannique. Bien sûr, on pouvait aussi observer les dandinements lascifs de Mick Jagger ou la garde-robe (c'est le cas de le dire) de David Bowie pour s'en rendre compte, mais rien de tout cela n'aurait constitué une preuve devant un tribunal ! (C'est une plaisanterie, naturellement...)
L'album sait garder une certaine sophistication, tout en restant accessible, proposant quelques boogies booty shakers comme "What Ruthy Said" ou "Crazy Raver", assez comparables aux Faces de Rod Stewart, histoire sans doute de renvoyer au cockney du titre. On trouve aussi du cabaret, probablement inspiré des Kinks, "Muriel The Actor", très tropicale, et un hommage au folk, "My Only Vice". Enfin, parlons de "Loretta's Tale", inclassable de beauté, une merveille noyée dans le soleil: fantastique.
Elégant, haut de gamme et tout à fait spécial, The Human Menagerie est un pari réussi. Bien qu'il ait été quelque peu boudé par la presse, avec laquelle Harley entretient de conflictuelles relations, et que son succès commercial ait été relatif, le single hors-album "Judy Teen", sexuel et accrocheur au possible, lancera définitivement Cockney Rebel, et quel bonheur. C'est un groupe, un chanteur cultes, qui n'ont pas la reconnaissance qu'ils devraient avoir.
Aussitôt intronisé "sauveur du glam déjà moribond" (1973: T-Rex entame sa chute, Roxy Music vire crooner-pop, Bowie fait son Pin-Ups de reprises...), le succès ne montera absolument pas à la tête de Steve Harley, pas du tout, absolument pas, jamais.
Bon, qui y croit ?
Suivrons d'autres chefs d'oeuvres, comme toujours dans ces histoires là, comme The Psychomodo, quintessentiel et successeur de la ménagerie humaine. Mais dès fin 1974, le groupe mark 1 splitte, lassé du totalitarisme d'Harley le magic man. Tant pis pour eux, ce sera dès lors Steve Harley & Cockney Rebel, "come up and see me"...
The Human Menagerie, un oubli injustifié.
The Human Menagerie, full album
"Hideaway"
"Loretta's Tale"
"Sebastian"