The Idiot est le premier album solo d'Iggy Pop, les Stooges ne sont alors plus qu'un souvenir et le malheureux Iguane est en pleine errance. Heureusement pour lui, l'un de ses plus grands admirateurs et ami veille sur lui, et c'est tout naturellement qu'il le prend sous son aile émaciée pour lui permettre de publier ce qui sera un monument musical incontournable pour qui s'intéresse un minimum au rock, et à la musique. David Bowie, car oui c'est bien lui cet admirateur secret, se lance au secours de ce cher Iggy, armé d'une énergie toute nouvelle à l'aube de sa "trilogie berlinoise" sous les traits émaciés du Thin White Duke.
(pub : http://www.senscritique.com/album/Station_To_Station/critique/13483098)
Dés lors, il propose à son ami Iggy la production de son premier album solo, fort de l'expérience qu'il a acquise avec son nouvel avatar. Loin de la furie des Stooges et de l'animalité habituelle d'Iggy Pop, The Idiot marque l'auditeur par sa froideur ainsi que par son ambiance nocturne et décadente. Iggy, à l'instar de son auguste ami, adopte ici une personnalité nouvelle, cheveux courts et plaqués, énormes lunettes de vue et rigides costumes austères et démodés. Là où le Thin White Duke était un alchimiste dépourvu d'âme, l'Idiot apparaît comme un mort vivant sarcastique, ramené à la vie par une étincelle prodigue. L'influence du Duke est donc omniprésente, dans ses froides expérimentations proches de Kraftwerk, synthétiques et obsédantes, ainsi que dans le ton désabusé qui règne sur l'album. Il ne faut cependant pas croire qu'Iggy Pop n'est ici qu'un vulgaire pantin animé dans l'ombre par l'hyperactif David Bowie, au contraire, l'étincelle lui a donné une vie propre et lui permet d'exprimer sa personnalité, plus complexe que pouvait laisser présager son expérience Stoogienne. (Après tout, L'Idiot de Dostoïevski, épileptique et naïf d'apparence n'en est pas moins un être doté d'un esprit d'une incroyable finesse et d'un aura christique.)
Le premier morceau, Sister Midnight, qui dévoile angoisses nocturnes et cauchemars oedipiens, donne le ton . On ne va pas beaucoup rire, mais ça en vaudra la peine. Les rythmes sont lancinants, le malaise palpable et la voix d'Iggy Pop est superbe. Nightclubbing, célèbre pour son introduction entre cabaret et rythmes industriels, dévoile le nouvel Iggy Pop, déambulant dans les rues de Berlin, ou dans le Yoshiwara de Metropolis, accompagné de son ami sitôt la nuit tombée. "Vampirique" est le mot qui revient le plus souvent pour décrire la vie des comparses à cette période, exilés en Allemagne et traversant la vie nocturne, avides et inquiétants. La rythmique obsédante serait celle d'une boîte à rythmes utilisée comme appoint durant les sessions de travail mais Iggy aurait décidée de la conserver, la trouvant bien plus efficace qu'un vrai batteur. Bien lui en a pris, cette machine donne à la chanson son caractère obsédant et hypnotisant si particulier. Funtime poursuit la virée nocturne et non, ce n'est pas si fun que ça. Avec les coeurs fantômatiques de David Bowie, la chanson nous emmène encore plus loin dans la nuit, une merveille de noirceur et de rythme à la fois. La fameuse description d'Iggy Pop quant à un album "rencontre de James Brown et de Kraftwerk" trouve ici tout son sens et ouvre la voie à ce que sera la new wave, puis le gothique, avant même la fin du punk. Baby est une berceuse sombre et glaciale portée par la voix d'Iggy Pop qui rappelle ici parfois celle de Jim Morrison. Loin de nous conduire au sommeil, elle nous fournit quelques angoisses supplémentaires, bon prétexte à hanter les rues une nuit encore.
Dum Dum Boys rend hommage aux défunts (à l'époque) Stooges, avec nostalgie et un soupçon de sarcasme, Iggy livre ici un morceau splendide, toujours animé de cette energie sinistre caractéristique de cet album. Après tout, une ball dum-dum c'est une balle qui explose et fait vraiment mal une fois qu'elle vous a touché. Exactement.
Tiny Girls est un morceau faussement naïf, un slow aux allures de fin de soirée, quand le bar va fermer. Arrive alors Mass Production, plus industriel et dissonnant que tous les morceaux précédents. On trouve ici les germes de Low, (l'album de Bowie,oui, qui, s'il est enregistré après The Idiot paraîtra un peu avant histoire qu'on n'accuse pas Bowie d'avoir été inspiré par Iggy...) ainsi que les influences les plus perceptibles de Kraftwerk et de la scène proto industrielle allemande en général. Certaines des sonorités se retrouveront dans de multiples productions à venir, de Gary Numan à Nine Inch Nails en passant par Devo. Le morceau conclut l'album, nous laissant dans une ambiance glaciale et artificielle que nous ne pourrons oublier de sitôt.