"Nous sommes tous inondés par une mer de sang, et le moins que nous puissions faire est de nous saluer." : en choisissant cette phrase prophétique d'un peintre abstrait anglais peu connu chez nous, en consacrant la chanson la plus ample, la plus longue et audacieuse de leur premier album (car nous convenons, comme tous les vrais fans de Van der Graaf Generator que "The Aerosol Grey Machine", disque fait pour les Ricains et jamais sorti en Angleterre, est largement à oublier...), "After the Flood" à un monde submergé par la montée des eaux des océans, Peter Hammill et ses amis avaient une vision malheureusement assez claire de notre situation, cinquante ans plus tard...


Lorsque "The Least We Can Do Is Wave to Each Other" parut en 1970, il reçut nombre de critiques élogieuses, fut typiquement comparé au premier album de King Crimson, de par son intransigeance artistique et sa violence impressionnante, assez loin de tout ce qui se faisait par ailleurs dans un Rock Progressif tenté par la virtuosité. Mais peu de gens l'écoutèrent et encore moins l'achetèrent : la voix dérangeante de Hammill, les textes effrayants, le double saxo hystérique de David Jackson, rien de tout cela ne caressait le public dans le sens du poil !


Pourtant, pourtant, le second titre de l'album, "Refugees" était sans doute l'une des toutes meilleures chansons publiées cette année-là : le chant de Hammill, largement en haute-contre, est moins agressif que sur les autres titres, la mélodie est, n'ayons pas peur des mots, sublime, et l'orchestration, classique avec cordes et instruments à vents (il faut écouter la version single, peut-être encore meilleure...) impeccable. Mais ce n'était qu'une goutte d'eau douce dans un océan amer et salé... Et puis au risque de nous répéter, un texte comme "We're refugees, walking away from the life / That we've known and loved; / Nothing to do or say, nowhere to stay; / Now we are alone. / We're refugees, carrying all we own / In brown bags, tied up with string; / Nothing to think, it doesn't mean a thing,", prend aujourd'hui une pertinence hallucinante, au point qu'on se demande si Hammill ne voyageait pas dans le temps au cours de ses trips chargés en produits hallucinogènes...


Mais parlons un peu des autres morceaux, tous longs comme c'était la mode au début des années 70, mais surtout tous passablement inconfortables : "Darkness (11/11)" nous y plonge directement, dans l'obscurité, mais reste relativement aimable, comme il se doit pour un titre ouvrant le premier album d'un jeune groupe ; "White Hammer" nous transmet une fascination pour la sorcellerie, mi-malsaine, mi-terrifiée (et terrifiante, en particulier dans son mouvement final, que Jackson aurait décidé de ne jamais jouer en présence de ses enfants !) ; "Whatever Would Robert Say", morceau un peu moins inoubliable, malgré ses ruptures de rythme et de ton, et le chant enragé de Hammill, que les trois qui l'on précédé, documente la référence du groupe au scientifique américain Robert J. Van de Graaff, et préfigure le style futur du groupe, entre percussions puissantes et hurlements des cuivres débouchant sur des plages de calme ; "Out of My Book", seule chanson qui n'ait pas été amenée par Hammill, mais proposée par Jackson, permet de se détendre un peu avec un peu de... "joliesse"... avant les derniers outrages émotionnels que nous fera subir l'apocalyptique "After the Flood".


"This is the ending of the beginning, / This is the beginning of the end, / And when the water falls again, / All is dead and nobody lives..."


Déjà on sait quand on écoute ce disque, enveloppé dans une pochette hideuse, plutôt mal produit et mixé (créant un conflit qui s'envenimera vite entre Hammill et la maison de disques...), qu'on ne va pas rigoler avec Van der Graaf Generator. Mais qu'on va être surpris, étonné, choqué, et rapidement emporté par cette musique grandiose, extrémiste, qui va très vite s'éloigner du genre "Prog Rock" pour construire son propre chemin, exigeant, effrayant parfois, touchant aussi.


Ce disque, s'il avait été le seul du groupe, pourrait être classé parmi les grandes réussites de son temps. Mais, et c'est heureux, les albums suivants de VDGG vont encore élever le niveau.


[Critique écrite en 2020]

EricDebarnot
7
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le 23 août 2020

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Eric BBYoda

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