Mountain Studios à Montreux, le 12 mars 1994 : David Bowie et Brian Eno ont réuni autour d'eux un "super-groupe" constitué de Sterling Campbell à la batterie et de quelques musiciens de Bowie des années passées (Reeves Gabrels de Tin Machine, Mike Garson des années Aladdin Sane/Diamond Dogs et Erdal Kizilcay des années 85-87 - ces deux derniers venant tout juste de travailler sur la fausse B.O. de Buddha of Suburbia). Tous ensemble, ils enregistrent ce jour là environ trois heures et demie d'improvisations expérimentales sous la houlette de Brian Eno, tandis que Bowie interprète par sa voix les rôles de tout un tas de personnages qui se succèdent au micro, dans une histoire inquiétante de crimes artistiques.
De cette séance-marathon vont émerger cinq suites, un temps envisagées pour constituer un double-album fleuve (en CD). Finalement, deux d'entre elles sont écartées et les trois restantes sont mixées pour constituer cet album (double aussi, mais en langage vinyle), que Bowie va présenter aux maisons de disques durant l'été suivant et qu'elles refuseront toutes ; l'objet étant jugé anti-commercial. D'autant plus que l'intention initiale n'était pas de le publier sous le nom de David Bowie mais simplement en tant que Outside, sans autre forme d'indication (on ignore si Bowie a tenté ensuite de le proposer aux labels sous son nom).
L'album est donc abandonné et mis de côté. Invendable. Il inspire toutefois grandement Bowie, qui rappelle à nouveau ses musiciens à New-York au début de l'année suivante, augmentés de l'incontournable Carlos Alomar, et qui vont enregistrer le matériau qui aboutira à 1.Outside en septembre 1995. Sur cet album, on retrouvera ainsi quelques extraits retravaillés/remixés du Outside initial, notamment les morceaux de transitions ("Baby Grace (A Horrid Cassette)", "Algeria Touchshriek", "Ramona A. Stone", "Nathan Adler" 1) et bien sûr les brefs extraits de "Leon Takes us Outside" et "I Am with Name". On trouve également "Nothing to Be Desired" (extrait de "The Enemy Is Fragile") sur le CD-maxi de "The Hearts Filthy Lesson", chanson également enregistrée à Montreux en mars, comme "A Small Plot of Land". Sans doute ces deux chansons faisaient-elles partie des deux autres suites rejetées du Outside originel.
Outside (ici intitulé The Leon Suites*) est un album à part entière et certainement pas, comme on le présente souvent à tort, un album d'inédits des sessions de 1.Outside. Erreur compréhensible, vu les similarités de titres. C'est un disque difficilement abordable teinté d'ambiances lourdes et pesantes, mais parfois aussi un peu mélancoliques (les trois morceaux font chacun plus d'une vingtaine de minutes). On ne peut s'empêcher de penser aux films de David Lynch (jusqu'à Mulholland Dr.) et ce n'est pas un hasard si le cinéaste a fait jouer Bowie dans Twin Peaks - Fire Walks with me et si "I'm Deranged" (extrait de 1.Outside) sert de générique à Lost Highway.
Comme pour les meilleurs albums de Bowie, celui-ci ne déroge pas à la règle selon laquelle il faut du temps pour l'apprécier. Mais une fois que c'est fait, il est incontournable. On espère donc maintenant la parution officielle de l'intégralité des cinq suites.
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* : Leon (ou The Leon Suites comme ici) n'est pas du tout le titre de l'album. C'est un des titres donnés pour les versions pirates qui circulent depuis 2016 d'après le titre de la première suite, "Leon takes us Outside". Les musiciens ont toujours fait référence à l'album en tant que Outside.