The Waves of Kanye
Plus de deux ans se sont écoulés depuis son annonce, et après trois changements de nom et des derniers jours chaotiques durant lesquels la tracklist se voyait sans cesse chamboulée, le tout agrémenté...
le 15 févr. 2016
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Ces derniers jours, on peut aisément dire que l'activité de Kanye Omari West fut agitée. Entre ce show aux ambitions pharaonesques orchestré sous la forme d'une double présentation de l'album et de la collection Yeezy Season 3 le soir du 11 février 2016, ce clash apparu fugacement sur Twitter un peu plus tôt et confrontant le saint homme au pauvre Wiz Khalifa qui apprit rapidement qu'une remarque déplacée sur ce qui allait être le plus grand album de tous les temps lui payerait très cher, sans oublier cette multitude de reports et de modifications de tracklist de dernière minute capables de transformer en boucherie la tête de n'importe quel fan, "on se souviendra longtemps de la sortie de The Life of Pablo", assurent à juste titre les gars de chez Libé.
Avant toute chose, un petit rappel chronologique s'impose : depuis fin 2013, le bon Kanye avait annoncé que le successeur du très bruyant Yeezus porterait le nom So Help Me God.
En début d'année 2015, il redonne de ses nouvelles avec la parution de 4 titres inédits, dont 2 en collaboration avec Sir Paul McCartney : Only One, All Day, FourFiveSeconds et Wolves (alors interprétée seulement en live lors de l'exposition de son partenariat vestimentaire avec Adidas - annonce dissimulée de ce qui allait arriver un an plus tard ? Mystère). Les singles publiés laissent présager le meilleur pour l'année à venir, l'engouement général étant accentué par la tonitruante prestation scénique d'All Day lors des Brit Awards. Seulement, Kanye West décide de faire marche arrière et ne daigne pas donner signe de vie durant tout le reste de l'année, inquiétant son public qui commence à se demander si le grand créateur qu'il a autrefois connu ne serait pas en panne d'inspiration. L'impression est légitime si on considère que la discographie de Yeezy occupe alors une pleine phase de transition, sa deuxième trilogie à dominante artistique (un type établira plus tard sur Twitter le rapport avec les trois phases chronologiques de l’œuvre de Picasso, rien que ça) étant désormais achevée depuis plus de deux ans. La question qui trône alors dans les pensées de tous est simple : que va-t-il nous proposer dans le futur qui tienne la route et établisse le rapport avec ses sorties antérieures ?
Les choses vont commencer ensuite à se préciser avec l'arrivée soudaine de Facts le 1er janvier 2016, un pur single promo où Kanye s'essaye à la Trap et reprend rageusement le tubesque Jumpman de Drake et Future. Quelques punchlines efficaces montrent le bout de leur nez, mais rien de bien plus alléchant, et c'est avec les sorties succinctes et maquillées en retour des GOOD Fridays de 2010 de Real Friends et No More Parties In L.A. qu'on entre réellement dans la partie sérieuse. Un retour assumé aux vieilles influences de l'artiste avec l'image d'un tout jeune Kanye en train de s'essayer à la production, des collaborations explosives de Ty Dolla $ign qu'on n'avait jamais entendu aussi sincère, de Kendrick dont on ne présente plus l'efficacité et surtout de Madlib qui lâche une formidable instru à la hauteur de son récent travail sur Piñata pour le second morceau, et vous obtenez un rapide retour de hype doublé d'un soulagement général.
Entretemps, le titre a changé et on passe de Swish, nouveau sobriquet annoncé début février, en même temps que la "Global Premiere" de l'album à venir, à Waves. Les fans sont assez désappointés, et Mick Jenkins profite de cette belle aubaine pour s'attirer la sympathie autour de lui. Après moult péripéties, c'est à nouveau le soulagement lorsque le 9 février Kanye tease l'apparition d'un titre surprise, désigné par les initiales T.L.O.P. Le 11, jour de dévoilement tant attendu du fameux sésame, le véritable titre est enfin connu : The Life Of Pablo. Référence certaine à une sorte de doublure mixant l'artiste Picasso et le truand Escobar, affirme la majorité. En même temps, l'artwork officiel est divulgué, puis trois jours d'attente insoutenables durant lesquels Kanye hésite longuement sur les titres qui auront l'honneur de figurer dans l'album puis se dispute avec Chance The Rapper quant au maintien ou non du morceau Waves en son sein suivent, jusqu'à ce matin final de Saint-Valentin qui marquera les mémoires.
Si il y a bien une première fleur à jeter à ce disque, c'est au sujet de sa stratégie de comm' aussi infâme qu'exceptionnelle : une bonne fois pour toutes, Kanye West aura montré au monde entier qu'il est un trou du cul exemplaire en même temps qu'un génie médiatique. Beaucoup diront que cette histoire n'aura été qu'un énorme tapage pour pas grand chose et un énième délire de celui dont l'arrogance et la mégalomanie ne sont plus à prouver. Pourtant, et à contrario de son prédécesseur qui exhibait la carte divine tout droit vers le ciel, The Life Of Pablo ne paraît -et c'est une première depuis bien longtemps- pas construit en forme d'apologie du Moi avec un grand M, mais tourné vers un regard plus posé, intimiste et parfois presque nostalgique d'un artiste envers son passé et ce qu'il a construit.
A ce petit jeu, Kanye décide de sortir l'option du brassage d'influences et de références multiples au reste de sa discographie : ainsi retrouve-t-on l'abondance de samples seventies qui caractérisait The College Dropout et Late Registration ainsi que le Rap façon storytelling présent par exemple sur le magnifique 30 Hours, 4ème single extrait du disque et paru en guise d'amuse-bouche deux jours avant la sortie, mais aussi la présence de "gospel" autotuné qui illumine l'album comme sur l'ouverture Ultralight Beam et qui est un écho direct aux racines afros chères à notre Kanye, de synthés et vocodeurs Pop grandiloquents qui rappellent forcément l'instant classic My Beautiful Dark Twisted Fantasy, de sonorités brutes lorgnant vers l'indus à la Yeezus et dont la tuerie Feedback en exploite le meilleur potentiel, et même de toutes nouvelles influences Trap avec l'excellent Father Stretch my Hands produit par le très chaud Metro Boomin'. Au niveau des nombreux guests aussi c'est plutôt éclectique, on a droit au splendide refrain R'nB' made by The Weeknd, à un couplet très inattendu du boute-en-train Chance The Rapper, aux hooks irremplaçables du fidèle Kid Cudi, à une petite intervention remarquée du burlesque Young Thug... Au final, à part peut-être un Chris Brown faisant tâche au milieu de tous ces convives de luxe et un Frank Ocean dont l'apparition fut aussi jouissive qu'expédiée, rien n'est vraiment à déplorer sur les choix de castings de Kanye, ni sur la plupart des morceaux en eux-mêmes (les interludes un chouïa inutiles voire carrément grossières dans le cas d'I Love Kanye ne comptent pas). Même Facts, qui est revenue in extremis sur l'album et qui n'avait rien de très intéressante a été retravaillée par un certain Charlie Heat et devient d'un seul coup plus louable. Comprenez-le bien, très peu de morceaux me paraissent à jeter et si je dois reconnaître une des qualités les plus essentielles de Kanye une fois de plus vérifiée ici, c'est qu'il sait se démarquer des autres. A coup sûr, le projet fera parler de lui tout le reste de l'année et occupera une place conséquente dans les nombreux tops dressés quand elle sera parvenue à terme.
Alors, pourquoi autant de mauvais sentiments à son égard me direz-vous ? On a en effet reproché à The Life Of Pablo de n'être qu'un fourre-tout représentatif du bazar qui semblerait régner dans la tête de Kanye depuis ces derniers temps, lequel ne serait plus capable de construire de grands projets cohérents et homogènes à l'image des deux derniers prédécesseurs. Je répondrai que si le résultat final est en effet bien loin de revêtir l'allure d'un MBDTF pour ne citer que lui et que le niveau d'inspiration de Mr West semble fatalement avoir baissé, on tient au moins un semblant de cohérence dû à cet aspect de synthèse, celui d'un artiste marquant une pause durant sa folle carrière pour jeter le regard en arrière. Cela pourrait justifier le choix de cet intriguant titre ainsi que toute l'intense et détestable promotion d'un Kanye West qu'on croyait définitivement et à tort tourné vers son unique nombril. Une fois de plus, le personnage illuminant la sphère des médias a pris les devants, pour mieux nous laisser en tête à tête avec son autre facette, plus sage, plus secrète et résolument plus humaine. Et si nous tenions là le fameux "Pablo" ?
Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Kanye West : Best to Worst et Les meilleurs albums de Kanye West
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le 15 févr. 2016
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