Les annonces d'arrêts de carrière soudaines, le public rap y est habitué. Rien que Jay-Z a usé du procédé à maintes reprises, toujours suivi d'un retour triomphale dans le coeur des gens comme dans les charts. Mais quand A Tribe Called Quest annonce son arrêt de carrière en 1998, les fans de la planète entière comprennent vite qu'il ne s'agit pas d'une farce et que les trois membres les plus cool de l'unviers du rap américain ne joueront vraiment plus ensemble.

La nouvelle est officielle avant même que leur nouvel album ne soit sorti, ce qui décontenance encore plus les fans qui ne devaient pas s'attendre à ça. Même si deux ans auparavant, lors de la période de leur quatrième opus Beats, Rhymes and Life, Phife Dawg avait déjà avoué lors de certains interviews que son intérêt envers Tribe diminuait depuis un petit moment déjà. Celui ci se sentait comme un peu mis à l'écart par moment ou ne ressentait pas le même amour à composer des chansons avec ses deux camarades qu'au début. Lui qui a toujours été très attaché au côté passion de la musique, qu'il ne voyait d'ailleurs pas vraiment comme un travail dans sa manière de l'approcher. Malgré cela, ATCQ n'a jamais paru sur le point d'exploser, et aucunes tensions ne sont venues noircir le tableau ni leur image envers le grand public.

Pour le prouver et comme pour boucler une boucle (de jazz ?) commencée huit ans auparavant, le groupe décide de baser son dernier album sur le thème de l'amour. Tel un chant du cygne en guise de remerciements et d'amour envers son public et cette musique qui leur a tant donné. De quoi partir en paix, le coeur léger, avec le sentiment de ne pas s'être trahi et surtout de ne pas avoir sorti l'album de trop. Si l'idée d'arrêter Tribe viendrait surtout du leader Q-Tip, ses deux camarades allaient acquiescer cette idée tôt ou tard, voyant bien les critiques positives de leur travail durant ces années quatre vingt-dix et la satisfaction de finir l'aventure au sommet.

Une aventure qui leur a permit de parcourir une quasi décennie en gardant cette intelligence dans le propos tout en restant cool et jamais ennuyant et moralisateur. Leur expérience acquise jusqu'ici leur permet donc de décrire l'amour et le hip-hop sous toutes ses cultures, faisant de The Love Movement un album particulièrement positif et optimiste. Il n'y a qu'à voir sa pochette d'un blanc immaculé, au graphisme sobre avec des symbôles à la symbolique sûrement spirituelle, et qui laisse voir à l'intérieur les trois artistes vêtus de blanc de la tête au pied. De la même manière que l'amour qui semble avoir autant de signification ou de ressentis qu'il y a de personnes dans le monde, les productions de l'album sont toutes aussi variées. Notamment grâce au trio The Ummah qui a vu le jour entre la sortie de Midnight Marauders en 1993 et la sortie de Beats, Rhymes and Life et tout simplement composé de Tip, Ali Shaheed et le rookie J Dilla que le leader à la voix nasillarde a pris sous son aile. Sous ce sobriquet, les trois hommes en venaient à travailler pour Tribe comme d'autres artistes et c'est tout naturellement qu'ils signent la totalité des titres de The Love Movement.

Si avec leur précédent album, ATCQ s'était laissé aller vers des sonorités un peu plus sombres que d'habitude, notamment à cause du contexte de la scène rap à l'époque, ce dernier opus revient à un son plus lumineux et emprunt de samples de jazz. Toutefois comme pour son prédécesseur, certains instrus sont peut être un peu moins accessibles par moment mais conservent un cachet frais, plein de vie, qui les rendent agréables à l'oreille à chaque écoute. "Start it up", le morceau d'ouverture est, par exemple, décontenançant avec ses notes de tuba répétées de manière obsessantes, mais permet de montrer l'aisance avec laquelle Tip et Phife rappent sur le rythme de ces mêmes notes. Une aisance qui d'ailleurs transparaît sur tout l'album et qui même ce n'était plus à prouver, permet de montrer que les deux MCs étaient alors au top de leur technique et en pleine possession de leurs moyens.

Le très bon "Like it like that"avec ses boucles aériennes et son dur kick de batterie est le parfait exemple et les deux camarades d'hésitent pas à jouer avec les silences, comme s'ils se relançaient la balle avec le beat et appelant même le public à crier au refrain. Un morceau et une technique dans le flow qui rappelle The Low End Theory et son single "Check the rhime", en plus dansant. Le classieux "Pad and pen" avec son sample de "Yearning for your love" du Gap Band et le plus sobre "Against the world" et ses quelques choeurs féminins rappellent d'ailleurs eux aussi ce titre dans la manière qu'ont les deux amis à se répondre et à enchaîner les rimes.

The Love Movement n'est pourtant pas un album nostalgique, et Tribe a la sagesse de ne pas ressortir une recette qui a fait son temps histoire de maquiller le coup. Au contraire, cet opus est un très bon exemple de la direction que prenait que le rap en cette fin de décennie, soit un style qui commençait à voir plus loin dans sa musicalité. Surtout au niveau des mélanges des genres comme avec le R'N'B, mais qui avait aussi toujours un pied dans le sampling et l'amour pour le début des 90s. Il n'est alors pas étonnant de retrouver autant de featurings sur cet album, plus qu'il n'y en a jamais eu sur un LP estampillé ATCQ. Il faut sans doute voir cela comme une sorte de passage de flambeau d'une génération à une autre. Comme sur "Rock rock y' all" avec Punchline, Wordsworth, Jane Doe mais surtout Mos Def, qui n'a cessé lors de ses albums de revandiquer l'héritage des Native Tongues et de Tribe. Ou encore la récréation verbale qu'est "Steppin' it up" en featuring avec les deux grandes gueules Redman et Busta Rhymes, où ce dernier après s'être révélé en lâchant une performance monstre lors d'un titre de Tribe en '91 en était déjà à son troisième album en '98.

Long de 52 minutes, ce dernier album possède un rythme qui diffère sur les seize pistes sans éprouver aucun ennui, d'un coup groovy, de l'autre plus posé, pour revenir sur un titre plus axé sur la performance verbale des MCs, et se permet même une petite pause en plein milieu avec l'interlude soyeuse "4 moms". Cette couleur musicale qui se dégage de cet album fait ressentir une maturité dans la manière de l'aborder, tout en gardant cette fougue propre au groupe, notamment Phife, toujours aussi bon et insolent. Comme sur "His name is Mutty Ranks" où il est en solo sur un flow plutôt reggae. Il en va de même pour les paroles, ce qui permet de voir que les deux MCs ont eu aussi grandi et que leur façon d'aborder certains thèmes ont eux aussi changé, le titre "Da booty" en premier.

Parmi ces titres, le super "Find a way" sort du lot et sonne presque comme un véritable single radio, grâce son aspect dansant, groovy et joyeux. Il permit au groupe d'être diffusé massivement sur toutes les radios et d'accompagner avec un peu plus de baume au coeur cette annonce de séparation des trois camarades. Présenté comme un morceau où les deux rappeurs déclarent leur flamme sans trop savoir s'ils doivent ou non se lancer, le titre est connu notamment pour son refrain facile à retenir et son clip, dernière vidéo du groupe et seule faite pour l'album. Grâce au montage elle suit les trois bonhommes à différents endroits comme s'il s'agissait d'un plan séquence de plus de 3 minutes où les paroles du refrain apparaissent à l'écran façon karaoké.

Après huit années le groupe composé des deux MCs Q-Tip et Phife Dawg et de leur DJ Ali Shaheed Muhammad n'est plus. Les trois amis d'enfance sont arrivés au bout du chemin, leur quête prend fin avec ce cinquième album et cette posture cool et consciente qui en ont fait des véritables influences pour des générations entières. Après cette séparation chacun allait partir pour de nouveaux horizons, du côté des Chemical Brothers pour Tip ("Galvanize") et d'albums solos, tout comme Phife et de collaborations avec d'autres groupes pour Ali Shaheed, pour finalement se reformer le temps d'un tournée avec Kanye West. A Tribe Called Quest a prouvé que peu importe la distance du chemin à parcourir, si la quête est faite avec amour, alors elle vaut tout l'or du monde.
Stijl
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le 1 mai 2014

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