Qu’est-ce qui rapproche aujourd’hui My Bloody Valentine de Grouper, au-delà de la date de sortie commune de leurs derniers albums (mbv et The Man Who Died in his Boat) et de l’hystérie critique qui règne autour ? Un sentiment de vide. Un vide qui peut naître, comme on va le voir, autant du silence (Grouper) que du bruit (My Bloody Valentine).
Dans les deux cas il est question de remplir un espace qui n’en demande certainement pas tant. Chez Grouper c’est vouloir donner l’illusion que le silence ou en tout cas l’extrême minimalisme mélodique et rythmique peut se révéler consistant dès lors qu’il est gorgé de réverbérations. Chez My Bloody Valentine, c’est beaucoup plus complexe, et en cela intéressant : c’est la surcharge d’effets, qui, précisément, demande de l’espace et donc appelle un vide (ou tout forme d’aération) dont justement mbv manque cruellement.
Quelques cordes de guitare sèche grattées de façon monocorde, une voix éthérée, vous avez là la formule égrenée sur d’interminables minutes par Liz Harris (aka Grouper), et que d’aucuns n’hésitent pas à qualifier de « songwriting », à notre plus grand étonnement. Plus à propos, la plupart des admirateurs de The Man Who Died in his Boat saluent la capacité de la chanteuse à susciter des sentiments de solitude, d’isolation, bref ils aiment l’aspect ambient du disque. Mais on ne peut qu’écarquiller les yeux devant de tels compliments, tant The Man Who Died in his Boat est avant tout une compilation de non-chansons, qui n’existent que via les seuls paramètres d’un seul effet, cette fameuse réverbération qui envahit tout, nous étouffe, nous irrite tant elle est utilisée sans la moindre subtilité. The Man Who Died in his Boat met à distance le vide des compositions par le vide de l’écho. On peut trouver cela fascinant le temps de deux chansons, mais aller au-delà revient à accepter de rentrer dans un jeu qui semble bien trop facile dès lors que l’on décide d’écouter le disque d’une oreille moins distraite.
La facilité, voilà quelque chose qu’on ne pourra jamais reprocher à My Bloody Valentine. Car même si mbv fait réellement comme si rien n’avait changé depuis 1991 (c’est l’aspect hautement énervant du projet, qui laisse penser, à tort, qu’un grand vide a parcouru les années 90 et 2000), My Bloody Valentine y prouve surtout que la science du son est quelque chose qui ne s’improvise pas, comme on aurait tendance à le penser en considérant l’accueil réservé à l’amateurisme de Grouper. Finalement, rien aujourd’hui ne ressemble plus à My Bloody Valentine que My Bloody Valentine. Mais tout le problème réside dans le fait qu’on n’est pas tout à fait sûr que la musique du groupe ressemble à quelque chose. C’est à la fois énorme (des saturations contrôlées au millimètre, des grains de guitare, des nappes synthétiques qu’on n’entend nulle part ailleurs) et en même temps tout cela semble assez vain, ne dégage rien d’autre qu’un parfum de folie contrôlée, comme un casse-tête chinois (réussir à mixer des centaines de couches de sons et créer un semblant de chanson) enfin, et péniblement achevé. My Bloody Valentine, qui n’a jamais été un groupe mélodique (là encore, le terme de songwriting qu’on peut lire à leur égard est tout à fait inapproprié), sombre ici parfois dans la pure accumulation, surtout dans la deuxième partie de l’album.
Mbv est un disque de surenchère, et en même temps un disque de manque, exactement comme The Man Who Died in his Boat. La musique oublie de respirer, elle se couvre d’artifices pour mieux masquer une existence propre qui lui est impossible. Soit parce qu’elle est une coquille désespérément vide (Grouper), soit parce que la répétition du même (My Bloody Valentine) ne crée rien de plus que ce qu’ils ont déjà été créé auparavant et laisse par conséquent un amer goût de stagnation.