Le chroniqueur aime bien s’attacher au contexte d’une œuvre. Que ce soit pour de mesquines raisons comme meubler son texte facilement et de manière légitime. Ou bien pour une cause plus noble, comme dépeindre les raisons qui ont poussé la naissance de telle ou telle musique. Si s’attacher aux détails historiques est toujours intéressant quand on veut comprendre les racines d’un événement, est-ce pour autant indispensable pour apprécier à sa juste valeur un disque ? Ne dit-on pas que la bonne musique se suffit à elle-même ? Le rôle du chroniqueur entre donc en contradiction avec la position de l’auditeur qui recherche une seule chose : une musique qui réponde à ses attentes, qui résonne en lui.
Mais évoquer les Spacemen 3 sans s’attarder sur LE détail extra-musical, est-ce bien raisonnable ? Car ce groupe aura bâti sa carrière sur une seule et unique chose : la drogue. L’élément clé que l’on retrouve au centre de leur son. Sans cette composante, leur musique aurait été bien différente et peut être qu’elle n’aurait également jamais existé.
Les stupéfiants auront joué un rôle tellement important dans le rock, que l’ignorer complètement serait très naïf. Ce fut un vecteur de créativité comme le point de départ des excès les plus absurdes. Dans le cas de la bande à Pierce et Kember, on se situe surtout dans le premier cas. Après un album sans compromis comme Sound of Confusion, la tentation de s’embourber dans un rock assourdissant, au risque de lui faire perdre son impact, était grande. Un risque évité dès ce second jet qui appuie néanmoins toujours avec insistance sur le même credo : la drogue c’est bien, prenez en. Ce disque en sera donc la parfaite prescription.
En conséquence, le duo pharmacologique dévie de la trajectoire de son historique première sortie. Car si Sound of Confusion était lourd et homogène, The Perfect Prescription est léger et varié. Un volte-face qui s’entend dès « Take Me to the Other Side » en dépit de ses guitares shoegaze. Le son s’étant grandement aéré depuis. Tout bascule avec la balade ouatée qu’est « Walkin' With Jesus ». On croirait entendre du folk joué par des fanatiques du space rock. Un registre qui sera de nouveau exploré sur l’impressionnante (et radicalement différente) reprise des Red Krayola : « Transparent Radiation ». Une douce orgie entre nappes stellaires et cordes accompagnant délicatement la voix assurée d’un des deux leaders.
Le groupe joue régulièrement sur les contrastes. Privilégiant soit une atmosphère planante et apaisante (le bien nommé « Feel So Good ») ou un rock minimaliste très entêtant (le clin d’œil évident à Lou Reed qu’est « Ode to Street Hassle » ou encore « Come Down Easy »)… Même s’ils sont suffisamment taquins pour rejouer ce rock bruitiste et répétitif qui les a lancé (« Things'll Never Be the Same ») et ainsi briser cette nouvelle chaîne.
Au final, The Perfect Prescription est un délire rétro. Un hommage volontaire au Velvet Underground à qui ils doivent beaucoup, mais évitant de tomber dans un revivalisme tellement béat de nostalgie qu’il gomme toutes traces de personnalité.
Aux côtés de la scène Paisley Underground (en particulier The Dream Syndicate), les Spacemen 3 font partie de ces formations à avoir volontairement puisé dans le passé pour combattre une époque qui ne leur correspondait pas (l’autre exemple, mieux connu celui-ci, étant le punk). Il y a dans cette musique, volontairement tournée vers le passé, une envie, un souffle qui transparaît. Un esprit qui transforme cette attitude passéiste en une volonté d’aller de l’avant pour se construire soit même, quitte à permettre d’accomplir des exploits jamais entendu auparavant.
D’ailleurs, The Perfect Prescription est souvent considéré comme l’œuvre suprême des Spacemen 3. S’il s’agit d’une pièce importante, ces enfants belliqueux des 80s seront pourtant encore plus passionnants quand ils Joueront avec le Feu.
…Pendant ce temps-là, je m’aperçois que le CD vient de se terminer et qu’un de mes compagnons a pris trop de cachets. Il faut appeler le docteur.
Voilà pour quelle raison il vaut mieux parfois se contenter uniquement de la musique.
Chronique consultable sur Forces Parallèles.