Ombres et lumières. Euphorie et extravagances. Le retour de Steven Wilson est amorcé. Calibré. Comme le messie d’un genre méprisé, tenu sous respirateur artificiel depuis trois décennies, et dont il serait aujourd’hui l’un des seuls, sinon l’unique prolongement naturel. Certifié conforme. L’histoire est très belle mais pas autant que l’album. Car Wilson reste un touche-à-tout introverti. Tête chercheuse de Porcupine Tree, qu’il n’hésitera pas à mettre en veilleuse dès le vrai succès rencontré, mais aussi de No-Man, Blackfield, I.E.M., Bass Communion, Storm Corrosion et autres collaborations fructueuses à la marge (Anathema, Opeth, Steve Hackett entre autres).
Shooté de musique(s), exégète repenti d’un prog-rock estampillé « années 70 », une position qu’il n’assumait plus aussi farouchement avant une résurrection approuvée des thuriféraires, le multi-instrumentiste entretient d’autant mieux son attirance obsessionnelle pour la chose depuis qu’il s’est penché sur les remasterisations des gardiens du temple : King Crimson, Emerson Lake & Palmer, Yes, Jethro Tull sont ainsi passés sur le fauteuil du spécialiste es lifting. Surtout, après deux albums en solitaire, coulés de lave sonique (Insurgentes, 2008 et Grace For Drowning, 2011), sa dernière tournée lui aura permis de tester l’ossature musicale idéale pour interpréter la musique dont il rêve.
Ambitieux. Ce sextet doué d’une énergie colossale pour l’euphorie mélancolique accueille une poignée d’incontestables – la guitare au phrasé technique et mélodique de Guthrie Govan, les fûts percutants, perforants de Marco Minnemann, mais aussi les claviers de Adam Holzman qui a jadis pianoté avec Mile Davis, le fidèle Theo Travis et l’inénarrable Nick Beggs, bassiste caméléon. Cette improbable conjugaison permet à Wilson de chanter comme jamais, libéré des contraintes instrumentales par l’excellence équilibriste de ses frères d’armes. Mais l’affaire ne respirerait pas tant cette nostalgie dense et raffinée s’il ne s’agissait que de tuer le père et parler d’avenir. Le projet de The Raven that Refused to Sing est tout autre et se veut un disque-refuge du prog-rock, avec une puissance de frappe exceptionnelle, quoiqu’en coûte l’étiquetage.
Cette quatrième dimension, c’est Alan Parsons qui se charge de l’atteindre. Appelé aux manettes, tel un Merlin de la console puisqu’on lui doit, quand même Abbey Road (Beatles), Dark Side of the Moon (Pink Floyd) et Year of the Cat (Al Stewart). C’est donc avec la gourmandise du débutant et le savoir faire du prodige sonique qu’il se plongera dans l’univers en noir et blanc si particulier de Steven Wilson. Le résultat délivre une musique en expansion, arrangée comme un Fantasia bardé de grands frissons spinaux.
Welcome my friends dans le show fascinant et fantastique de The Raven That Refused to Sing ! On pense à Edgar Poe évidemment (et au Tales of Mysteries d’un certain Alan Parsons Project) pour les contours, l’univers, et les textes, véritables petites historiettes gracieuses et fragiles pour cauchemars éveillés. Les illustrations de Hajo Mueller (choisi à la place de la noirceur habituelle de Hasse Hoile) ajoutent aux ambiances de contes nocturnes et offre à la musique multimédia de Wilson un support visuel de haute tenue.
Les six morceaux, inspirés, inspirants, s’emboitent alors idéalement et composent autant de chapitres passionnés à ce livre de chevet foudroyant, jamais poussiéreux. On pourrait facilement se laisser aller à prolonger les débats en se penchant et en s’épanchant sur chacune de ces chansons, éblouissantes de clair obscurs. Chambre d’écho d’un rock progressiste idéalisé, les expérimentations mutantes enfin canalisées permettent aux mélodies d’anges déchus de s’envoler et surpasser le simple pastiche-revival habituel façon amateur triste.
Steven Wilson compose ici sa lettre d’amour au passé et à ce genre dit moribond, dont il attise les braises de ses parenthèses glacées. Du dévastateur « Luminol » au déchirant « Drive Home » jusqu’au dernier souffle, contemplatif, du céleste « The Raven », la boucle semble bouclée. Addictif, elle ne manquera pas de flanquer une dérouillée de choix à toutes les plumes critiques acariâtres. Et malgré ses montagnes d’influences, l’album reste entier, totalement « wilsonien ». Celui que l’on espérait, à mots couverts, depuis des années. Magnifique et incontournable.
Écrit à l’encre noire, The Raven That Refused To Sing est un chef d’œuvre.
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