Je découvre Asaf Avidan avec ce premier album, accompagné de The Mojos.
Une ouverture tout en douceur,
arpège clair et voix perchée, particulière. Maybe You Are.
Hangwoman, rock country au rythme sûr et aux envolées endiablées, les cris déchirants, avant que ça ne glisse sans transition vers Her Lies, une ambiance déstructurée tenue malgré l’effondrement par une basse ronde et sensuelle, un blues saturé et ravagé où Asaf Avidan pleure sa rage entre destruction et apitoiement. L’israélien orchestre la souffrance qui naît des mensonges, de la confiance brisée, de l’amour perdu. Quelques hurlements vocalisés saignent le paroxysme avant une chute en douceur et c’est Weak, ballade calme comme une confession sur la nature de l’homme, conscience désespérante d’une condition humaine qui porte l’élan vers l’autre autant que l’insatisfaction de soi.
« Tell me i’m weak »
Reckoning song c’est un nouvel arpège de guitare folk, une voix magnifique pour une ballade entre nostalgie légère et espoir d’un renouveau : « One day baby we’ll be old, think about the stories that we could have told », une envolée aérienne bouleversante de tristesse et d’abandon autant que de vaine survie. Le tube de l’album, un tube de larmes où le compte des regrets de tout ce qui n’a pas été accompli pèse d’une improbable légèreté.
Beauté folk rock.
Sweat & Tears, la sueur et les larmes, Asaf Avidan garde le ton sur un rock emporté, court, qui laisse la basse accélérer pour Rubberband Girl et le rythme alors entraîne le cœur et les jambes, transe de renonciation aux accents pleins de ce que l’artiste expulse de douleur, tentative rageuse d’évider la souffrance pour repartir neuf. L’incantation vocale d’A Phoenix is Born exprime ce renouveau dans la continuité, entre cri primaire et chants navajos, l’homme continue de jouer de la mystique interne des corps.
Toujours dans l’élancement, Over Your Blues et Empty Handed Saturday viennent confirmer les influences seventies : la voix à peine plus grave prend paradoxalement des élans féminins sur une guitare pleine d’accords acoustiques au son clair tandis que le chanteur s’amuse en octaves pour tirer du grave et du râle trituré à la Janis Joplin, puis le gros rock, couplets apaisés de basse ronde et redondante porte l’essor explosif. On pense à Ten Years After, à Led Zeppelin.
A Ghost Before the Wall, l’arpège calme et la voix posée disent l’absence encore, et les souvenirs ressassés qui jamais ne s’échappent. La rupture s’imprime,
l’amour perdu hante le cœur sans espoir de rémission,
et l’a cappella de voix en chœur profond résonne comme une présence surnaturelle. C’est Growing Tall, savante alternance de retenue et d’explosion, un rock sur la brèche qui ne cesse de partir pour ne jamais complètement s’envoler, collé à l’attraction terrestre de l’autre, jusqu’au solo de guitare déstructuré, une descente inflexible et sans fin.
Il est bientôt temps de dépasser le mal, de regarder l’horizon. Little More Time, ambiance cowboy pour un rock eighties, langoureux, et l’espoir enfin : « i’m gonna make it alright », promesse encensée dans un court interlude hard blues rock, influence The White Stripes.
Devil’s Dance calme l’homme. Il faut se relever et l’arpège doux se réchauffe au violon, la tristesse est toujours là, grave, et la voix d’Asaf Avidan se fait de cristal tandis que la rage s’efface pour saisir une souffrance pure, transcendée au cœur des ténèbres.
Une magnifique ballade sobre.
Of Scorpions & Bells, à l’arpège doux vient s’ajouter un piano clair, discret, pour une chanson pop sur laquelle Asaf Avidan prend des accents de Bob Dylan. « Baby I’m leaving », après le compte de la souffrance, l’israélien chante le départ, définitif, difficile, presque impossible, l’instinct de survie précaire. L’accordéon vient donner du corps, l’orchestration se fait dense, complète, enlevée.
Au bout du compte, la vie reprend ses droits.
Très belle découverte que ce premier opus d’Asaf Avidan & The Mojos.
La puissance unique d’un disque cohérent, d’une histoire qui se termine et des douleurs insupportables qu’il faut y surmonter avant de reprendre le goût de la vie, le goût de l’espoir.
Peut-être même le goût de l’autre.
Matthieu Marsan-Bacheré