(J'écris à chaud, et après une seule écoute de l'album, donc je n'ai probablement pas le recul suffisant pour en parler, mais je le fais quand même parce que Voilà).


Ornette Coleman, c'est le genre de nom qui, comme pour Albert Ayler ou Eric Dolphy, ne laisse pas indifférent dans le Jazz. Un innovateur se doit d'être haï par toute une caste un peu réac ; mais Coleman, de son temps, était critiqué par ceux-là même qui étaient à la pointe de l'innovation : Miles Davis trouvait Coleman "dérangé" (screwed up inside) (Miles va très rapidement s'en reprendre par la suite). Une telle critique venant d'un mec qui innovait déjà beaucoup me faisait clairement peur quant à la production du saxophoniste. En plus, ma (très) brève incursion dans l'album Free Jazz, l'opus qui suivra celui-ci, m'a éloigné longtemps de Coleman. Et puis, à force d'entendre parler de toute la force d'influence qu'a laissée The Shape of Jazz to Come, je me suis laissé à écouter cet album, dont je craignais rapidement l'anarchie totale.


Mais l'anarchie ne vint pas réellement. Pour une seule raison : si le saxophone Alto de Coleman et la trompette de Don Cherry laissent libre cours à un registre libéré de bien des contraintes harmoniques et mélodiques, et si les progressions d'accords chaotiques et peu convenues peuvent perdre l'auditeur, le tout est malgré tout maintenu par une batterie bien réglée et précise. C'est comme si le principe du tempo, tout en étant trituré de tous côtés, n'est jamais réellement mis à la poubelle ; mais c'est ce qui permet de former une base solide sur laquelle l'improvisation folle se libère. Les solos proposés sont bien sûr déconseillés aux puristes comme aux tout nouveaux venus de l'univers Jazz ; je peux largement comprendre comment, en 1959, de telles compositions ont dû se faire arracher les cheveux des mordus de bebop. Mais, avec l'évolution de la musique qui suit, quand le même monde Jazz a vu éclore Om ou Silent Tongues, un tel album, tout en restant une pierre angulaire dans le développement de cette Nouvelle vague, semble étonnamment conventionnel tout en brisant totalement les mêmes conventions qui prévalaient à l'époque. C'est un album qui refuse certaines formes habituelles (le solo sur des successions d'accords, et pour cause le manque de piano dans l'album est assez libérateur, les successions elles-mêmes, le changement constant de tonalité, des soudaines fulgurances anarchiques comme au début de Focus On Sanity), mais il ne se dépare pas de racines blues et Jazz encore bien ancrées. C'est ce qui me l'a fait apprécier, à ma plus grande surprise : j'y trouvais encore des repères clairs qui ne me donnaient pas l'impression d'être déraciné dans une mer de notes dissonantes. Et c'est tant mieux.

Créée

le 3 sept. 2021

Critique lue 61 fois

2 j'aime

Critique lue 61 fois

2

D'autres avis sur The Shape of Jazz to Come

The Shape of Jazz to Come
SombreLune
7

A la recherche du Hip

La première chose à dire : ce n'est pas un disque facile, il faut du temps. La déstructuration et les pistes harmoniques empruntées sont si riches et variées qu'un profane ne peut les comprendre du...

le 5 nov. 2016

5 j'aime

The Shape of Jazz to Come
Pawlak__Bernard
8

"La bonne musique ne se trompe pas, et va droit au fond de l'âme chercher le chagrin qui nous dévore

C réativité en impro pour un saxo en solo, O rnette le géant, recherche d'un jazz libéré, L onely woman, standard musical en brio, E trange approche:harmolodie si inspirée, M élopée, la voix de...

le 13 juin 2015

4 j'aime

The Shape of Jazz to Come
Critique_du_dimanche
8

La nouvelle forme du Jazz, libre comme l'air.

(J'écris à chaud, et après une seule écoute de l'album, donc je n'ai probablement pas le recul suffisant pour en parler, mais je le fais quand même parce que Voilà). Ornette Coleman, c'est le genre...

le 3 sept. 2021

2 j'aime

Du même critique

Promises
Critique_du_dimanche
8

Promesses tenues.

Honnêtement, je n'attendais pas grand chose de 2021 niveau jazz. Surtout après que McCoy Tyner en 2020 et Chick Corea en février de cette année aient disparu, ça m'a laissé un trou béant dans mon...

le 28 juil. 2021

8 j'aime

Beat
Critique_du_dimanche
7

Pas de blagues graveleuses, s'il vous plaît.

Le problème avec Beat, ce n'est pas nécessairement que ce serait un mauvais album. En fait, si vous l'écoutez en n'ayant aucune connaissance de King Crimson, vous risquez bien de beaucoup apprécier...

le 28 déc. 2020

6 j'aime

Red
Critique_du_dimanche
9

Evoluer avec le temps : le cas King Crimson.

Red est l'un de mes albums de rock progressif favoris. Sincèrement, en termes de travail musical tant que technique, je trouve le rendu extrêmement puissant, aux portes d'un prog-metal dont Tool se...

le 7 mai 2020

6 j'aime

2