Tout démarre comme dans un roman. Luis Vasquez, homme de tous les combats derrière son projet solo The Soft Moon, rêvasse à longueur de journée dans sa chambre d’enfant. Coincé dans la ville nouvelle de Victorville en Californie, il scrute inlassablement le désert qui entoure la bourgade et où l’activité est rare. Le gamin Vasquez n’a qu’une seule issue pour échapper de cette réalité morose : la créativité, selon ses propres dires. Partant de ce constat, le rejeton s’enferme dans sa chambrée et s’inhibe dans la musique. Ses compagnons d’armes sont sa guitare et les synthétiseurs analogiques qu’ils collectionnent. Dans ce qui semble devenir une quête pour sa survie par la musique, Luis Vasquez entreprend une création largement influencée par le vide que lui inspire son lieu de vie. Pis encore, le musicien instrumentalise l’infortune de la vie et l’obscurité d’une humanité condamnée. Quoi de plus doucereux et d’infiniment vide que la Lune ?
L’ensemble de cet album résulte de cette période incantatoire. Aussi Luis Vasquez dresse un fascinant décor, déchiré par une orchestration de machines et de voix haletantes. On plonge tête bêche dans le cœur du réacteur, et la chute invite à une transe frénétique. Les boîtes à rythmes côtoient des vagues de synthés toutes plus folles les unes que les autres, tandis que les cordes entre dans une paranoïa alarmiste. On écoute, décontenancé par cette fougue surpuissante, bientôt happé par la tornade que forme The Soft Moon tel une divinité omnipotente. Maître de ces pouvoirs, Vasquez prouve ses qualités en parvenant à mettre en scène un réel univers étonnamment situé à la frontière entre Lovecraft et Tron, le no future punk et les techniques modernes. La seconde moitié est particulièrement prégnante de cet ambiance shoegaze et noise à souhait, croisant angoisse, vitesse et bruit en des morceaux frontaux et concis. Les premiers morceaux réservent une approche plus mélodique, hormis l’intransigeant et formidable « Circles ». Loin de faire retomber la pression, Luis Vasquez ne perd pas son souffle et pourchasse une cadence effrénée. Les psychoses se succèdent, les obsessions et les spectres se confondent. Le plaisir, lui, reste intact.
L’entrée célébrée de The Soft Moon par cet album éponyme dans le monde musical scelle sa sortie de l’humanité. Du haut de sa Lune, il contemple la décrépitude humaine et s’amuse à détisser les forclusions. Ses intuitions étaient les bonnes, et mieux vaut se réfugier dans l’obscurité pour y trouver la lumière. Le label Captured Tracks frappe ici, encore une fois, un grand coup : il a pu capter quelques effluves de la Lune Douce, nous sommant de le rejoindre dans l’espace de ses rêveries démentes.