Une inspiration à bout de souffle, avec encore quelques moments brillants
J'adore Elbow depuis que je les ai découverts à l'époque de Cast of Thousands, et il a fallu attendre Build a Rocket Boys ! pour que ce groupe hors du commun me donne mes premières déceptions. Je ne devrais pas me faire trop d'ennemis en affirmant que The Leaders of The Freeworld contenait déjà des merveilles, pierres blanches pour marquer les jours les plus importants de votre vie, et que The Seldom Seen Kids correspondait à un apogée d'éclectisme et d'inspiration, comme si le groupe avait su à la fois creuser profond et ratisser large.
La grande question pour des groupes qui ont atteint de tels sommets est de savoir s'il faut s'attendre à un déclin ou à de nouveaux transports. Les premiers titres de The Take Of... ont failli me faire croire au miracle, mais l'album s'essouffle rapidement. "This Blue World" nous accueille en terrain connu, mais comme pour en explorer de nouveaux recoins. On reconnait tout de suite la maison Elbow, qui est comme chez soi: ce pourrait aussi bien être "Starlings" (de The Seldom Seen Kids), mais en moins nuancé, en plus "ambiant". Moins original, aussi, il est vrai. En deuxième position, "Charge", s'ouvre sur la ligne "batterie/basse" que vous trouverez immanquablement parmi les trois ou quatre premiers morceaux de tout album d'Elbow, suivis des traditionnels pianos et cordes bien sentis - rien de très nouveau mais de bonnes sensations - et puis il faut reconnaître son charme au clavier, vraisemblablement sorti tout droit d'Heligoland de Massive Attack (auquel Guy Garvey a participé...). Mais, la véritable surprise, l'étincelle qui aurait pu mettre le feu aux poudres, c'est "Fly Boy Blue/Lunette", l'improbable résurrection de Léonard Cohen à trois voix, entrecoupée de solos de guitare hachés minute. On est retrouve le filon que le groupe avait exploité sur The Seldom Seen Kids avec "The Fix", d'une rare maturité. Soudain, le morceau prend un virage violent en pleine course et se laisse aller dans son élan, comme un planeur qui coupe soudain le moteur pour se laisser porter par les courants. Le pilote est en pleine maîtrise.
Ce morceau en deux parties n'est pas sans rappeler l'extraordinaire "You & Me" d'Albarn sur sa dernière galette (qui me fout de nouveau les frissons rien que d'y penser).
Mais la comparaison s'arrête là: après un "New York Morning" bien écrit, mais qui ne sort pas de l'ombre de "Station Approach" (The Seldom Seen Kids), le propos se découd. "Real Life (Angel)" donne un sérieux coup dans l'aile du planeur, avec sa tentative Lounge ratée qui donne à la figure de la pochette un air de décoration de salle de sport branchée. Je ne ferai pas le détail des titres suivants, qui redressent douloureusement la barre et nous laissent avec une impression pas désagréable - ce qui est bien, mais largement insuffisant pour un groupe de cette trempe.
Au final, ce nouvel opus est loin d'être une daube, mais il semble que toute l'inspiration se soit concentrée dans un seul titre, "Fly Boy Blue", le reste, largement emprunté aux albums précédents, étant heureusement sauvé par une écriture exacte, bien maîtrisée, et une belle homogénéité.