The Works
6.9
The Works

Album de Queen (1984)

"My only friend through teenage nights 

And ev'rything I had to know 

I heard it on my radio" 



Je me revois encore, plage du Peu Ragot sur l’île de Ré écouter en finissant mon footing « Is This The World We Created ? » face à la mer, le matin. Loin encore de moi le concept de rock hypocrite, je trouvais simplement la chanson jolie, les jolis motifs guitaristiques de Brian May, la jolie voix, toujours belle, de Freddie Mercury, l’idole de l’adolescent de quinze ans que je ne suis plus.  Non, je n’ai pas peur de parler de Queen, n’en déplaise aux puristes à la con, du style tout-ce-qui-est-commercial-et-qui-s’est-vendu-est-forcément-mauvais (tout en révérant Led Zeppelin, « le rauque putain »). Tout a commencé avec ces quatre types, musiciens et chanteurs extraordinaires, et je vais aujourd’hui vous parler de The Works, onzième album des londoniens sorti en 1984 chez EMI. 


Petit rappel historique… Queen se forme en 1971 sur les ruines de Smile, ancien groupe de Brian May (chant et guitare) et Roger Taylor (chant et batterie). Rejoints par le charismatique Farrokh Bulsara, aka Freddie Mercury (chant et claviers) et par John Deacon (basse), le groupe commence à se faire un nom dans le milieu du hard rock, à la croisée des styles développés par Led Zeppelin et Black Sabbath tout en ne reniant pas les influences pop des Beatles et les excentricités assumées d’un Bowie époque Ziggy Stardust.


Les deux premiers albums (Queen I & II) sont heavy, tandis que Sheer Heart Attack opère un réel virage pop, prolongé par ce qui est considéré comme leur magnum opus, A Night At The Opera, tout en rhapsodie bohémienne et autre du meilleur genre. Dans le genre resuçée, A Day At The Races constitue une agréable surprise, le groupe prenant le temps d'approfondir les expérimentations de l'album précédent (et tout ça, sans synthétiseur!).


Les seventies se terminent par le brûlot News Of The World, excellemment chroniqué par Roland Caduf, et par le curieux Jazz, un favori dont nous reparlerons sans aucun doute. The Game et Hot Space voient Queen s’engouffrer toutes voiles dehors dans les putassières eighties pour des résultats assez surprenants, accueillant les longtemps honnis synthétiseurs dans leurs compos. Le groupe trouve aussi le temps de signer sa première bande-originale, celle fort peu intéressante du nanar absolu Flash Gordon de 1980, et d’entamer des carrières solos, avec les deux excellents crus de Roger Taylor, Fun In Space et Strange Frontier, le fameux et racoleur Mr Bad Guy de Freddie Mercury pour finir par le putassier Star Fleet Project de Brian May, véritable orgie de guitar heroes indigeste. 


Queen c’est une identité, des concerts impressionnants et un sens de la composition imparable. Chaque membre du groupe à sa personnalité propre, Mercury plus porté sur les ballades et les choses opératiques, Taylor sur une new wave sans concession (dès des choses comme « Drowse » sur A Day At The Races), May sur du rock bien heavy, testotéroné, et Deacon sur une approche plus soul/funk de l’affaire. Queen c’est un son, porté par la fameuse Red Special de Brian May (fabriquée artisanalement avec son père en utilisant un corps de cheminée) et son jeu basé sur les harmoniques, par la touche subtile de John Deacon, la frappe brutale de Taylor et par la voix incroyable de Freddie Mercury, certainement la plus impressionnante du rock and roll …  


1984, comme dit bien des fois ici (mais quand on aime, on en reprend) est l’an fatidique d’Orwell et Queen, malgré les tensions ayant émaillé l’élaboration de Hot Space, se rassemble pour un nouvel album. Un mot d’ordre : « Let’s give them the works », traduction : « donnons-leur un chef d’œuvre ».  Soyons bien clairs néanmoins, The Works n’est pas un chef d’œuvre, ses défauts sont nombreux et il occupe la place difficile d’album de transition. Néanmoins, je reste très attaché à ce disque dont on parle moins à côté des magnum opus des seventies, dont nous avons bien soupé vous en conviendrez.  

The Works est le seul album des anglais à avoir partiellement été enregistré sur le territoire américain, au Record Plant de Los Angeles, et complété ensuite aux studios Musicland de Munich où le groupe à ses habitudes. L’ingé-son et coproducteur est toujours le même, l’allemand Reinhold Mack, ayant fait ses armes avec Giorgio Moroder et Harold Fartenmeyer, crédité aux premiers Sparks synth-rock que sont Whomp That Sucker et Angsts In My Pants. A la différence de The Game et de Hot Space, Mack réinjecte un peu de rock à riff dans la machine synthétique que semble bien être devenu Queen.  


Les réjouissances commencent par le sur connu « Radio Ga Ga », signée Roger Taylor. C’est sans aucun doute un des plus gros hits de Queen deuxième période, abordant le thème de la perte d’influence de la radio au profit de la télévision. 1984 c’est le plein âge d’or de MTV, des clips ambitieux passant en continu, et Queen en fera les frais, nous en reparlerons. Ce titre synthétique, véritable réussite, sera un des succès qui portera l’album, et celui-ci sera brillamment joué au Live Aid le 13 juillet 1985.  


Plus bourrin est le « Tear It Up » de May, et sans réel intérêt que celui de faire rugir sa guitare. C’est légèrement (carrément) caricatural, tout le monde s’époumonne comme au premier jour, cela fait beaucoup de bruit et j’imagine que le téstostéromètre de la moustache de ce cher Freddie s’est affolé. Non, franchement, dispensable.  


« It’s A Hard Life » de Mercury remonte la sauce. Cette ballade virevoltante et très efficace compte parmi les meilleurs que le groupe ait signé, sorte de version dramatique du très pataud « Life Is Real » de l’album précédent. On se souviendra aussi du clip, très opératique avec ce rutilant costume de M. Mercury et ce brillant solo de Brian May. 


La face A s’achève avec la repompée « Man On The Prowl », resucée non-dissimulée du « Crazy Little Thing Called Love » de The Game. Néanmoins, cela ne prend pas (mais cela a-t-il pris sur The Game ?) et Freddie roucoule comme un Elvis Presley du dimanche. Ça s’essouffle…  


Rassurez-vous néanmoins, la face B pour une fois est meilleure que la A. Elle s’entame avec l’expérimental « Machines (or Back To Humans) » où les synthétiseurs, boîtes à rythme et guitares s’emmêlent jusqu’à ce qu’on ne sache plus trop où se situe qui. Freddie s’époumonne pour notre plus grand plaisir sur ce monde de machines et de « random access memories »… Ce fut très certainement inspiré par la participation de Queen au projet de colorisation fou du Metropolis de Lang par Giorgio Moroder, énorme flop cela dit. Freddie Mercury offrit même au projet son plus beau fait d’arme solo, le fantastique « Love Kills ».  


Suit le MTVien “I Want To Break Free”, surtout connu pour le clip travesti des membres du groupe. Inspiré par Coronation Street, sitcom avant l’heure favorite des ménagères britanniques de l’époque, c’est absolument visionnaire. Freddie avec son énorme poitrine, son haut rose et son aspirateur, son brushing kitschissime et ses mimiques moustachues est rentré dans la légende. N’oublions pas l’écolière lolita Taylor, la robe de chambre May et la vieille carne Deacon, et cette interlude terriblement homo-érotique où Freddie apparaît sans moustache. « Puritain en public, pervers en privé », les américains censureront le clip au grand dam du groupe qui ne donnera plus aucun concert là-bas. Outre ces excentricités visuelles, la chanson de John Deacon est devenue un classique par cela. C’est une ritournelle synthétique, s’affranchir du foyer, de ce vieux con, je veux me libérer ! Le titre deviendra un vrai symbole au Brésil et en Afrique du Sud, une vraie libération toute blague à part. 


Arrive ensuite la perle méconnue de The Works, parfaite pour le footing, « Keep Passing The Open Window », au piano lancinant et légèrement évanescent, à la basse inarrêtable. C’est une très belle chanson, parfaite pour l’été et les voyages en voiture. Originellement prévu pour le film Hotel New Hampshire, la chanson ne fut finalement pas retenue par Tony Richardson, le réalisateur … C’est fort dommage, et ce beau titre reste confiné à l’album, méritant à mon sens une plus large reconnaissance.  


« Hammer To Fall » est l’autre machine à riff de Brian May, bien mieux réussie que « Tear It Up ». Je l’ai découverte pour la première fois en version live au Live Aid, c’est à mon sens dans cette configuration que le titre prend tout son sens. On parle ici de la peur de l’apocalypse nucléaire dans un contexte de renouveau des tensions entre Etats-Unis et Union Soviétique. Haché, réussi. 


Les trente-sept minutes de The Works se termine sur la mélancolie hypocrite de « Is This The World We Created ? ». On ne parlera jamais assez de l’absurdité du rock conscient, où des mecs remplissant des stades à des prix indécents viennent t’asséner leur philosophie conscientisée en s’en foutant plein les poches, en te racontant avec trémolos les récits de vie des vrais workers américains, tout en repartant ensuite en limousine (suivez mon regard), ou du malheur des gens qui meurent, tout court ou de faim ici.  


Nous penserons ce que l’on veut du Live Aid, où Queen livra certainement la meilleure performance de la journée et de sa carrière, mais c’est toujours terriblement hypocrite. Revoyez le biopic Bohemian Rhapsody, vous comprendrez de suite. Le concert pour le Bangladesh (1971), projet humanitaire bancal de George Harrison avait eu les mêmes problèmes, et les affamés n’ont jamais vu la couleur des sous promis par des rock stars conscientisées. Bref, la chanson est mignonne sinon, jolie perle acoustique, qui termine cet album en demi-teinte. 

The Works sera le dernier succès américain de Queen, et une réussite dans le monde entier. Porté par de brillants singles, il signe un retour à l’arena rock qui caractérisa toujours le groupe, laissant le discoïde Hot Space derrière eux. La formule heavy sera encore plus amplifiée sur le successeur de The Works, A Kind Of Magic. Arriveront ensuite les The Miracle et Innuendo de fin, prenant une réelle dimension tragique quand on sait le combat que Freddie Mercury a mené contre le SIDA. 


Queen est un groupe putassier que j’adore. Malgré tout, on sent que c’était la grosse éclate en studio. Certains trouvent ça prétentieux, je ne suis pas d’accord du tout, je trouve au contraire que le groupe est plein d’une auto-dérision qu’on ne voit pas souvent en musique populaire. Non, ce n’est pas prétentieux, c’est drôle, c’est fun, c’est entraînant, bien produit, c’est pop, c’est cool. Avant les drames à venir, ce sont quatre personnes qui passent du bon temps en créant de la bonne musique.


Queen ce sera à jamais mes révisions du brevet, The Works que je m’étais offert à la réussite de mon Preliminary English Test, mes matinées au club de sport, courant dans la forêt, nageant comme un forcené dans la chaleur perdue de la fin de juin, « keep passing the open window ». C’était il y a cinq ans, il y a une éternité … 

The Works, demi teinte attachante.      

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le 30 juin 2024

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