Premier disque de la fameuse "ditch trilogy" du Loner (qui avait déclaré après le succès global de "Harvest" qu'il préférait le "fossé" au "milieu de la route" / middle of the road), "Time Fades Away" n'a presque pas été écouté depuis 45 ans, lorsqu'il fut publié à la fin d'une tournée cauchemardesque que Neil fit tout ensuite pour oublier. Plus de 30 ans sans édition CD, et un déni permanent de la part du Loner, qui le qualifie de son "pire album"... alors qu'une écoute - abasourdie, émerveillée - aujourd'hui le place aisément dans le Top 5, sinon le Top 3 de sa longue discographie...
Bon, Neil est ravagé par la culpabilité d'avoir renvoyé de la tournée son ami Danny Whitten, mort d'overdose deux jours après. Il boit, il hait ses musiciens qui l'ont fait chanter pour augmenter leur cachet, il hait le public qui ne comprend rien et ne veut qu'entendre les chansons de "Harvest". Il est obligé de changer de guitare suite à une défaillance de sa fidèle "old black" et n'arrive même plus à jouer correctement. Crosby et Nash sont appelés en renfort, mais ne font qu'ajouter au chaos général sur scène. Neil n'a jamais aussi mal chanté (largement volontairement) que sur 7 de ces 8 chansons ("Love in Mind" est en fait un enregistrement datant de 1971, qui n'a donc rien à voir avec le reste de l'album)... et pourtant il n'a jamais été aussi bouleversant, aussi intense. Et ne le sera peut être jamais plus...
Car n'oublions pas que nous parlons ici d'un artiste certes ravagé par la douleur et les excès, obsédé par l'effondrement du rêve hippie dont il a fait partie, mais également d'un compositeur génial au sommet absolu de sa forme : toutes les chansons de "Time Fades Away", même les plus déjantées, les plus négligées ("Time Fades Away", "Yonder stands the sinner"), sont incroyables mélodiquement et émotionnellement. "Don't be Denied", qui revient sur de douloureux souvenirs d'enfance, est sublime et un véritable crève-coeur... et même si les Stray Gators, groupe bancal au son grinçant et incertain, ne sont pas Crazy Horse, le final électrique et tordu de "Last Dance" porte idéalement son nom.
Car la danse macabre de "Time Fades Away", c'est bel et bien celle du pendu qui tressaute au bout d'une corde, agité de mouvements spasmodiques alors que les derniers sons humains s'étranglent dans sa gorge. C'est affreux, c'est terrible et... putain que c'est beau !
Il y aura, immédiatement après, l'enregistrement de "Tonight's the Night", dans le même état d'esprit et avec un meilleur groupe pour le soutenir. Mais peut-être pas avec de meilleures chansons... contrairement à ce qu'on a toujours pensé ces 4 dernières décennies !
[Critique écrite en 2018]