Cela peut sembler impossible de réussir à marier l'opéra et le rock. Et pourtant, c'est ce que Pete Townshend a fait. Et avec brio. Tommy est une histoire racontée à travers des chansons rock dont la cohérence est assurée par la persistance d'une trame sonore. Si l'oeuvre se révèle un peu pompeuse par moment - mais bon c'est un peu le côté "opéra" qui ressort - elle recèle aussi une étonnante richesse musicale et de véritables bijoux de chansons (Amazing Journey, Christmas, I'm Free, The Acid Queen, Pinball Wizard...) dont le défaut principal est une production un peu trop gentillette (il est dit que Townshend voulait rajouter plus de guitares "rock" sur les parties trop acoustiques mais que les délais ne le lui ont pas permis).
L'autre point fort de l'album est l'histoire. Elle peut sembler trop farfelue, bancale, difficile à suivre voire parfois incompréhensible. Mais en même temps, elle renvoie à des allégories multiples qui laissent place à toutes les interprétations (est-ce l'histoire du rock? est-ce une allégorie du passage de l'âge adolescent à celui d'adulte?...) en démystifiant tour à tour la religion, le sexe, la drogue, les sectes et le rock. A une époque où beaucoup croyaient que le rock allait changer le monde, Tommy avec son histoire malsaine mêlé d'adultère, d'abus sexuels et persécutions enfantines, annonce la fin des rêves des sixties et Altamont. A la fin, Tommy, messie adoré puis rejeté, préférera sauver sa peau... tout comme tous les rockers de la décennie suivante qui seront plus intéressés à remplir leurs poches que changer le monde. Bref, Tommy est définitivement le disque d'une époque qu'elle retranscrit sans compromission et avec lucidité.