Le duo écossais d’electronica Boards of Canada revient après huit ans d’absence avec Tomorrow’s Harvest. La presse est globalement très enthousiaste et BUB s’interroge sur la pertinence de ce buzz pour lequel l’attente fiévreuse puis la surprise semblent avoir pris le pas sur l’esprit critique.

On pourrait commencer cette revue de presse par une citation de Lexo7 du webzine SWQW : « Le duo est […] tellement adulé qu’il est parfois impossible d’ébaucher un semblant de critique à son endroit ». Cela témoigne bien du statut actuel de Boards of Canada : c’est un mythe. Il faut dire qu’avec des albums comme The Music Has The Right To Children (1998) et Geogaddi (2002), Michael Sandison et Marcus Eoin ont imposé un son entre ambient, synthés vintage et rythmes plus chaloupés, qui est reconnaissable entre tous. Oui mais voilà, comme le souligne Lexo7, on a la sensation, comme My Bloody Valentine récemment, que le duo n’a « absolument rien écouté d’autre que leur propre son pendant toutes ces années ». Autrement dit, leur musique sent le renfermé, le manque d’ouverture au monde. Comme si les Boards of Canada avaient tout à fait conscience de leur statut, et que le simple fait de combler une absence suffirait à ravir les aficionados de leur musique.

Mais pour peu que l’on soit réellement exigeant à leur encontre, il semble évident que Tomorrow’s Harvest est « terriblement répétitif » et « inabouti (pour ne pas dire à l’état d’ébauche) » pour reprendre les mots d’Akitrash de Hartzine. Les morceaux s’étirent en effet inutilement, sans jamais rien développer d’autres que de maigres idées de compositions, sans jamais remettre en question un son qu’ils ont échafaudé il y a des années. C’est finalement cette sensation de facilité qui agace le plus. Le fait de reproduire les mêmes schémas à l’infini n’est en soi pas condamnable mais le format ambient, contemplatif, le permet sans doute moins que la pop, qui se doit avant tout d’être gorgée de mélodies pour fonctionner. Alors, quel intérêt revêt Tomorrow’s Harvest si ce n’est de réveiller un sentiment de nostalgie ? Akitrash appuie là où ça fait mal en affirmant, à juste titre, que ce retour « a pour triste défaillance d’être bloqué dans un passé où tout restait à inventer ». Une façon d’interroger le groupe sur ses facultés (son désir ?) à remettre en question leur œuvre mais aussi leur époque. Cela semble d’autant plus flagrant lorsqu’un tel disque sort en même temps que Slow Focus des têtes chercheuses de Fuck Buttons.

A ce titre les bras nous en tombent lorsque Christophe Conte des Inrockuptibles affirme avec aplomb que Boards of Canada « se réinvente » en « repoussant certaines frontières sonores ». Mais desquelles veut-il parler ? Marc Olivier Novak de Feu à Volonté évoque à juste titre les noms de Jean-Michel Jarre, Vangelis et Tangerine Dream pour décrire l’esthétique sonore du duo. Sans même parler de la respectabilité de ces figures, le moins que l’on puisse dire c’est que si frontières il y a, elles sont franchement d’une autre époque ! Cela ne remet pas en question la qualité des compositions de Tomorrow’s Harvest, mais met le doigt sur cette propension qu’ont certains journalistes à écarter tout bon sens dès qu’il s’agit de faire passer une idée forte ou de construire une hype de toute pièce. Dans tous les cas, cette affirmation semble un tant soit peu artificielle dès lors que l’on prend la peine de se pencher sur d’autres critiques. Ainsi Laurent Hoebrechts, sur Le Vif, pose un regard totalement différent sur Tomorrow’s Harvest : « Boards of Canada laboure toujours les mêmes champs sonores, laissant de côté tout effet de surprise. Un aveu de faiblesse, un accès de facilité ? ». De quoi en perdre son latin et se demander si les deux personnes ont écouté le même disque !

Un autre argument des détracteurs des Boards of Canada et de ce Tomorrow’s Harvest consiste à dire qu’« une bonne moitié de [l’album] pourrait, extraite de son contexte, paraître n’être qu’une […] atone série de productions ambient […] » (tiré de l’article de Gwendal Perrin). Bizarrement ce qui apparaît comme un défaut aux uns est une qualité chez les autres. Ces derniers affirmant que chaque disque des Boards of Canada devrait s’écouter dans l’ordre, d’une traite, comme on regarderait un film par exemple (le webzine Slate parle même de « bande-son d’une lente et imminente apocalypse »). On ne peut que défendre ce point de vue qui défend l’idée du disque pensé comme un tout, destiné à plonger ses auditeurs dans un état propre à l’écoute de cet album en particulier, et non comme une compilation de chansons sujettes à la consommation éphémère. Mais l’on peut aussi penser que si apocalypse il y a un jour, on aimerait la vivre de manière plus intense, qu’elle nous fasse vibrer un peu plus que ce Tomorrow’s Harvest.

Francois-Corda
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le 3 janv. 2019

Modifiée

le 11 juin 2024

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François Lam

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