"Tonight’s The Night arriva finalement dans les bacs en 1975 et c’est certainement le diamant noir de la discographie de Young. C’est une compilation turbulente d’odes funèbres exécutées par des musiciens bons pour la cellule de dégrisement. A chaque mesure, c’est l’exutoire absolu, la douleur prend le pas sur la justesse et l’accident n’est jamais très loin. Neil Young s’y ruine les cordes vocales, déjà bien attaquées par un déraisonnable brouillard cannabique. La chanson titre, qui commence et conclue la galette, chiale la disparition de Bruce Berry sans s’encombrer de métaphores, on est plus là pour faire de la poésie. Borrowed Tune est un piano/voix pulvérisé par la tristesse, qui pompe sans vergogne le Lady Jane des Rolling Stones et qui n’a même pas honte de reconnaître son propre plagiat :
« I’m singing this borrowed tune / I took from the Rolling Stones / Alone in this empty room / Too wasted to write my own »
« Je chante cet air que j’ai piqué aux Rolling Stones / Seul dans cette chambre vide et / Trop défoncé pour composer moi-même »
Au détour de Come On Baby Let’s Go Downtown, on croise même le fantôme de Danny Whitten, revenu d’entre les morts pour chanter une dernière fois, tandis que Tired Eyes rapporte un règlement de compte meurtrier lors d’un deal qui a mal tourné, et qui a mené en taule un autre pote de Neil qui s’est paumé en chemin. On a beaucoup dit que Tonight’s The Night était une œuvre glauque d’un artiste au fond du gouffre, mais il est bien plus que ça. Contrairement aux apparences, la solitude du chanteur n’est pas le cœur du disque, car sa douleur est partagée par son équipe, et c’est cette cohésion face à l’adversité qui en fait toute la beauté. Les tristesses s’accumulent comme autant d’instruments maladroits, autant de voix qui se soutiennent pour ne pas s’effondrer. Et au final c’est la magnifique illustration musicale d’une bande de potes qui, désinhibés par une consommation cathartique de téquila, s’étreignent de toutes leurs forces et trouvent un réconfort poignant dans ces accolades endeuillées.
Extrait du podcast Graine de Violence à découvrir ici :
Neil Young, se perdre et se retrouver
https://graine-de-violence.lepodcast.fr/neil-young-se-perdre-et-se-retrouver