En 2016, David Jones quitte ce bas monde nous laissant Blackstar comme ultime cadeau. Pour les fans, habitués aux métamorphoses de Bowie, c'est la fin d'une époque puisqu'il leur faut désormais se contenter des surprises des maisons de disques. Parmi les trésors convoités beaucoup de concerts certes, mais également quelques sessions studio. Il est d'ailleurs étrange que les archives Bowie, bosseur acharné et collectionneur méticuleux - quelle idée de conserver sa cuillère à cocaïne pour en faire un objet d'exposition pour David Is - soient moins copieuses que celles de Neil Young, de Prince (ou Love symbol) ou Bob Dylan...on veut donc la clef du coffre pour vérifier.....En tous cas, attendu de longue date, Toy s'impose comme une pièce maîtresse de ces publications posthumes.
Toy collectionne donc les reprises de titres des années 1960 quand le jeune Jones apprenait son métier à Londres avec une ténacité qui force le respect et pour cause : "Mon ego me disait que j’avais quelque chose d’important à offrir au monde. Je n’arrivais pas exactement à savoir quoi, mais je savais qu’il était question d’art. J’ai passé mon enfance à me dire : “Je suis un grand artiste, je mérite la reconnaissance.” Mon but était d’en informer la terre entière ! C’est facile à dire aujourd’hui, mais je n’ai jamais eu le moindre doute quant à ma réussite. Je savais que je deviendrais célèbre, je me suis préparé à cette vie très jeune. De l’extérieur, je n’étais qu’un type effrayé et timide. Mais au fond de moi, l’assurance était phénoménale" avouait-il même en 1993...On le croit bien volontiers....
Ce disque tenait vraiment à coeur à David visiblement ravi de donner une seconde vie à son répertoire de jeunesse. En 2000, avec la complicité d'Earl Slick à la guitare, Gail Ann Dorsey à la basse, Lisa Germano au violon et Mike Garson au piano, Bowie enregistre plusieurs titres de ses débuts, façon live en quelques jours, laissant libre cours à la spontanéité du groupe après une rapide écoute des versions originelles : "Les chansons sont si vivantes et pleines de couleurs qu’elles sautent des enceintes" selon David (alors sevré de la cocaïne...). Mark Plati produisit l'album et joua aussi de la guitare. Soulignons le retour de Visconti au début par doses homéopathiques, "pour voir comment ça se passe" après la grosse brouille des années 80, lorsque Bowie se passa des services du producteur américain avec plus ou moins de réussite d'ailleurs : une explication de l'abominable trou d'air dans sa carrière artistique ? Visconti arrangea d'abord les cordes puis reprit certains mixages pour ces retrouvailles.
Bowie désirait véritablement publier ce disque mais la sortie officielle en fut sans cesse repoussée par la maison de disques guère convaincue du projet au point de précipiter une rupture pleine de rancoeur : "Virgin est devenue une merde absolue. Ces gens ont été épouvantables durant les deux années qui ont précédé mon départ". Toy connut cependant une fuite d'origine inconnue sur la toile en 2011. Quant à Bowie, il éparpilla quelques titres en bonus dans sur les maxi singles de Heathen et la compilation Nothing Has Changed en 2014. En 2021, Parlophone inclut enfin l'album Toy dans le coffret Brilliant Adventure (1992-2001) qui restera dans les annales pour le suicide marketing de la pochette tant sa laideur absolue rebute d'emblée, un comble pour l'esthète que fut Bowie...Si les freaks de Diamonds Dogs ou la face aplatie de Lodger ne sont pas à l'avantage de David, ils sont plus bizarres que moches. Pas loin d'égaler la hideur légendaire de With A Little Help From My Friends de Joe Cocker ou Zuma de Neil Young, Toy pulvérise les bornes du genre horrifique et grotesque...On pourra trouver tous les arguments pour cautionner un tel choix mais franchement celui qui voudrait décourager l'achat ne s'y prendrait pas autrement.
L'écoute de l'album offre quelques chouettes morceaux et des titres plus anecdotiques, tous portés par Bowie chantant avec une belle conviction, une constante de ce disque. Sommet de l'album, Conversation Peace ! Que dire tant la chanson est parfaite, les arrangements extraordinaires de légèreté. Quant à la voix, Bowie dans ce registre plus grave assure à l'aise. Dans un écrin contemporain, Silly Boy Blue confirme toute sa grâce et charme sans conteste. Bowie est au meilleur. Karma Man avec ses accents psychédéliques est peut-être le titre qui rappelle le plus les Sixties. D'une excellente tenue, sur les chœurs de Holly Palmer, Emm Gryner et Lisa Germano, le morceau roule tout seul toujours porté par la voix sans faille de Bowie qui s'amuse visiblement. Finement arrangé, Let Me Sleep Beside You réveille bien. You’ve Got a Habit of Leaving résume bien la démarche Toy : la chanson d'origine est véritablement revigorée avec ses chœurs aériens, le piano de Mike Garson et la voix de Bowie.
Ces belles prouesses ne masquent pas quelques soucis. En ouverture, I Dig Everything martèle d'entrée sur une rythmique et des riffs massue. Certes, c'est efficace, propre et bien foutu mais ça n'accroche pas plus que ça. Surgi des sessions de 1972, Shadow Man la joue classe mais mollassonne franchement en dépit de la performance vocale. Bijou de 1966, London Boys - pour moi la première vraie chanson de Bowie - manque sa cible en perdant son innocence et sa fragilité. Pour l'émotion véritable, il est de loin préférable de sortir le 45 tours de sa pochette d'époque pour le jouer sur sa platine vinyle avec les craquements habituels (pas trop quand même)...Can't Help Thinking About Me surgit de 1966 sans frapper les esprits. Encore une fois, l'original reste la référence à mon humble avis. Ce n'est pas en tapant plus fort que le titre gagne en conviction. Passée l'intro bruyante, vielle demo de 1970, Hole In The Ground devient plus acoustique, rehaussée d'un tambourin et de claps mais encore une fois n'accroche pas. Avec Baby Loves That Way on est toujours dans le ventre mou de la production Bowienne, le morceau tourne en rond. Enfin Toy (Your Turn To Drive), le seul nouveau titre de l'album démarre par la cascade de piano de Mike Garson avant que Bowie d'une voix plus aérienne nous entraine dans un morceau planant assez agréable. On se quitte donc en bons termes sur une impression mitigée, celle d'une occasion manquée ?
Toy se laisse donc écouter d'une oreille sans atteindre l'intensité du ChangesNowBowie, tuerie véritable quand Bowie (c)hantait en acoustique des titres anciens au point de leur redonner une nouvelle vie...Se baladant dans le musée de sa jeunesse avec nostalgie, Bowie joue avec nos nerfs et amuse à peine, la production lissant des titres plus ou moins réussis avec un je ne sais quoi de monotonie. Reste la voix caressante et nuancée d'un chanteur qui maîtrise bel et bien son art. Une édition coffret regroupa l'année suivante des versions démos et remixées avec de véritables surprises. Le CD 2 présente les mêmes chansons remixées avec Liza Jane en ouverture, dans une version nasillarde à souhait, clin d'oeil parodique du quinquagénaire à l'adolescent débutant qu'il fut en 1964 avec les King Bees. Le traitement alternatif de Visconti donne un autre charme à certains titres qui sonnent bel et bien (London Boys, Silly Boy Blue avec Moby et Philip Glass, Let Me Sleep Beside You). Et c'est avec In The Heat Of The Morning (Unplugged and Somewhat Slightly Electric Mix...) que débute le 3ème CD. Plus dépouillées, rehaussées de guitares acoustiques, les chansons réveillent quelquefois une émotion un peu chloroformée par la production initiale. Il ressort néanmoins de l'ensemble le ressenti d'un plaisir...solitaire et nombriliste laissant les fans en rade sur certains titres. Can't Help Thinking About Me, n'est-ce pas ?