Triple S
7
Triple S

Album de 13 Block (2018)

Sur le papier, Triple S c'est un peu le concept le moins intéressant du monde : en gros on a Ikaz Boi qui produit 11 titres dans le genre trap d'Atlanta actuelle, pour 13 Block, groupe jusqu'ici connu pour avoir fait de la drill, qu'on résumera comme quelque chose de très bordélique et énervé. Donc un peu comme quand t'essayais d'expliquer en 2015 à tes potes pourquoi PNL c'est phénoménal, tu te retrouves face à des mots-clés que tout le monde a entendu mille fois et qui font bander personne. D'ailleurs même toi au début tu pensais que ça allait te durer la semaine, surtout que lyricalement tu risques pas d'y passer des plombes à chercher des double sens qui cassent la tête, et pourtant, les faits sont là : on est en septembre et on continue d'envoyer Don Pablo dès qu'on sait plus quoi mettre après trois albums moyens.


Donc histoire de comprendre pourquoi c'est aussi bien, faut commencer par admettre que le concept est pas si con que ça. Qui a déjà entendu un groupe aussi authentiquement français rapper sur du Metro Boomin ? C'est un peu comme PNL au final : eux avaient essayé de raconter le vécu de deux charbos des Tarterêts sur des prods clouds qu'on connaissait encore peu en France ; ici, c'est un certain versant de la musique d'Atlanta qu'on essaie d'adapter à ces mêmes profils de gros vendeurs de SHI'. Et le fait qu'ils laissent de côté les personnages de grossiste américain pour rester dans quelque chose de plus dur et réaliste ne veut pas dire pour autant qu'ils accusent un déficit de charisme. Pour rappel, y'a quand même un freestyle sur Couvre Feu où ils répètent en boucle pendant deux minutes « pourquoi j'me sens mieux quand je traite ta mère ? » et ils pètent le style malgré tout, c'est incroyable.


Mais après, et c'est pas nécessaire de l'écouter pendant des mois pour s'en rendre compte, c'est bien Ikaz l'artisan qui œuvre le plus à la réussite du projet. Parce qu'au paragraphe d'avant j'ai dit que le mec fait du Metro Boomin, on pourrait croire que je lui adresse une critique, mais en vrai, t'es capable de faire du Metro Boomin toi ? Dans la mesure où j'ai vu aucun copié/collé de prods déjà existantes, lui reprocher de s'inspirer trop fortement de lui, ça serait un peu comme reprocher à un rappeur français de faire du Kendrick Lamar. Alors oui, la comparaison est peut être foireuse, mais t'as compris où je veux en venir : s'inspirer des mecs qui font (presque) l'unanimité, et qui continuent d'être à leur top depuis autant d'années, c'est déjà un challenge assez relevé en soi. Il suffit d'aller écouter : Ikaz enchaîne frappe sur frappe dans Triple S, et au delà des prods en elles-même, c'est aussi une succession de toplines plus réussies les unes que les autres qui se remarque.


Bon, là faut quand même je m'arrête pour parler du meilleur morceau de l'album qui est un putain d'interlude d'une minute et demi. La dernière fois que j'ai autant aimé un truc aussi court je crois que c'était le vine de Kemar sur LE PAIN, et ce vine a déjà trois ans, c'est vous dire le niveau de génie du mal auquel on se situe. Pour commencer y'a évidemment cette instru d'un autre monde qui me donne envie de mettre le morceau au moins quatre fois d'affilée à chaque fois (rien qu'en pensant à la basse à la fin j'ai des frissons), mais comme si c'était pas suffisant, y'a aussi ce refrain de Zed ; et alors déjà que le mec déborde tellement de flow pendant tout le projet que c'est presque indécent pour les autres gens qui essayent de pratiquer la rap musique, là il débarque avec une espèce de comptine où il t'explique la manière avec laquelle il compte arriver sur la route du succès (en dérapant, je crois) tellement entêtante que je serai obligé de la chanter à mes enfants pour les endormir même contre mon gré.


Et puis tout le travail d'Ikaz sur le mix bordel, c'est tellement luxe que j'ai la flemme d'écrire dessus. Du groupe bruyant et guerrier, 13 Block devient celui des des adlibs millimétrés, et c'était pas gagné (bababinks). Encore plus largement, je dirais que Triple S est une fois de plus le projet marqueur d'un moment où les producteurs prennent une nouvelle dimension en France. A la manière d'un Metro Boomin, Ikaz fait apparaître son nom à côté de celui du groupe et hésite pas à venir expliquer en interview sa vision, comme l'avait fait par exemple un Seezy avec Vald. Et on ne peut que se réjouir de voir des gens en France qui pensent véritablement la musique, assument un rôle de DA pour des artistes qui se laissent plus facilement diriger, et c'est pas Myth Syzer qui dira le contraire. D'ailleurs, on peut faire un point sur la Roche-sur-Yon ou pas ? On parle quand même d'un bled de 50.000 habitants en Vendée où sont sortis les deux meilleurs producteurs français de ces dernières années, et personne s'étonne. Perso, je vais juste faire comme Philippe et lever mon verre au 8-5.

Yanga
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Rap fromager de 2018

Créée

le 20 sept. 2018

Critique lue 728 fois

14 j'aime

2 commentaires

Yanga

Écrit par

Critique lue 728 fois

14
2

D'autres avis sur Triple S

Du même critique

13 Organisé
Yanga
8

Artistiquement on se balade

On va commencer par la principale critique adressée à 13 Organisé : les morceaux sont systématiquement trop longs et inégaux. C'est vrai ! Mais qu'est ce qu'on s'en bat les couilles ...

le 15 déc. 2020

18 j'aime

3

Mauvais Œil
Yanga
10

Que le destin bascule...

Cet album peut avoir l'air de prime abord impénétrable pour bien des raisons. Je m'étais moi même penché dessus il y a quelques années, ayant l'impression d'avoir affaire à "l'album préféré de ton...

le 16 juin 2015

18 j'aime

Alph Lauren 2
Yanga
6

Aux portes du succès ?

Largement considéré, et à raison je pense, comme un des gars les plus doués de la nouvelle génération parisienne, Alpha Wann est passé Maître depuis quelques années déjà dans l'art d'outshiner...

le 24 janv. 2016

16 j'aime

1