Il y a des œuvres, dans le parcours d'un artiste, qui sont tellement incontournables, tellement évidentes, tellement écrasantes, qu'on finit par se demander si on peut les critiquer. À plus forte raison, quand l’œuvre en question est la première de l'artiste. Car tout le travail de ce dernier se retrouve immanquablement jaugé à l'aune de cette révélation ; et, tout aussi immanquablement, souvent mal jugé, puisque ce début fracassant est considéré en général comme indépassable.
Tubular Bells est, pour Mike Oldfield, cette pierre angulaire. Composé à 17 ans, paru alors qu'il venait juste d'avoir vingt ans, ce monstre inclassable a tendance parmi les fans à être posé au sommet de la pyramide de son travail, sans contestation possible.
Il faut dire que le bazar a de quoi impressionner. Constitué de deux parties d'une vingtaine de minutes chacune (face A et face B des 33 tours de l'époque), décomposées en mouvements aux styles radicalement différents mais qui s'enchaînent pourtant sans heurt, dénué de chansons susceptibles de passer à la radio, Tubular Bells est une bizarrerie capable de passer sans transition de passages mélodiques à d'autres complètement loufoques, en se faufilant entre des variations rock, blues, ambient, Latin... Dans le plus pur esprit des compositions de rock progressif qui font fureur dans les années 70, tout en imposant un style singulier, reconnaissable entre tous. La "voix" Oldfield.
Tubular Bells est diablement inventif, inspiré, créatif à chaque minute ou presque. D'autant plus que les instruments y abondent : guitares, basses, pianos, glockenspiel et clochettes en tous genres, banjo, cloches tubulaires bien sûr, orgues... tous joués par Oldfield lui-même, qui se révèle d'emblée comme un multi-instrumentiste de génie - seuls les percussions lui font défaut.
Étrangement, en dépit de ses qualités indiscutables (d'où le 8/10), Tubular Bells ne figure pas parmi mes albums préférés de Mike Oldfield (d'où le 8/10 "seulement"). C'est même un disque que j'écoute peu, beaucoup moins que Tubular Bells II (mon préféré de la série, oui je suis un vil mécréant), Ommadawn et Return to Ommadawn, le génialissime Amarok, Crises ou QE2.
Difficile de dire pourquoi. Je crois que je le trouve un peu froid, un peu trop technique, au détriment de l'émotion. Un rapport de force qui, pour moi, s'inverse dans Tubular Bells II, plus propre, peut-être un peu plus lisse, mais qui me transporte davantage d'un point de vue musical.
Quoi qu'il en soit, Tubular Bells reste un album de référence dans l’œuvre du compositeur anglais, une démonstration de virtuosité et d'intelligence musicale tout simplement saisissante - bien au-delà de la popularité acquise par son ouverture grâce à son utilisation dans L'Exorciste... Un album phare, dont Oldfield va lui-même porter la croix durant des années, confronté à un public attendant le même exploit, encore et encore. Un album dont l'éclat jette une ombre souvent injuste sur nombre de ses autres disques, qui méritent d'être découverts et appréciés, délestés de ce poids impossible à porter.