En 2004, quelques années de religieuse écoute des classiques m'ont sans doute suffisamment ouvert les esgourdes. Heureuse contingence, une compile m'avait mis sur la piste de l'album précédent, sans que j'y plonge pour de bon. Je suis quasi prêt à recevoir ce groupe d'étranges suédois. Quasi parce que d'emblée soufflé par la déflagration de l'immense Abra Cadaver, les hurlements hantés de Howlin' Pelle Almqvist... J'ai beau avoir tâté un peu de punk classique, jamais rien entendu d'aussi puissant. Howlin' who ? Ça commence comme un nom de bluesman et puis ça tourne mal. Sur les photos ça n'est jamais clair, curieux mix d'Arnaud Montebourg et de Malcolm McDowell ; avec qui il s’amuse peut-être à cultiver la ressemblance (le psychopathe buveur de lait, pas le producteur de miel). En live sorte d'Iggy surcoké, la pudeur en plus, qui n'aurait pas le temps d'être lascif tant il est survolté.
"Deaaaad / Deaaad / They tried to stick a dead body inside of meeeee" - Offre de puissance, cent mille fois relancée parce qu’1’34 c’est court, qui sonne toujours terriblement, jusque dans les méchants écouteurs du discman glissé dans la poche arrière du sac : plaisir jamais démenti, poitrine adolescente gonflée d’une confiance introuvable ailleurs.
Ce qui frappe avec le recul, c'est que les Hives semblent avoir tranché, entérinent l'orientation prise avec Hate To Say I Told You So (son riff proprement inoubliable, son absurde tambourin de chant de Noël) et quelques titres du deuxième album : c’est entendu, ils feront du garage, adopteront les tenues de circonstance (rock 50's ?), assumeront surtout leur maîtrise instrumentale et le mix au cordeau qui la rend audible.
"Need no need no alibi / Honestly I tell no lies / Tried to stick an office worker inside of me" - Acte de résistance, d’un même geste toute la fièvre adolescente et tous les Bartleby en puissance. Déjà, pas question de consentir au monde tel qu’il va. Sur skyblog où l’on s’écharpe se gravent des prises de position qui comptent plus que la vie, saillies comme des germes de pensée politique (elle qui fleurira plus tard, aux abords du lycée), embryons de pensée classifiante qui préparent à “de gauche/de droite”, “bourgeois/pas bourgeois”. La musique fraye pour le politique une voie directe, du ventre au cerveau.
C'est bien la perte consentie sur le terrain de la pureté punk (survivant sur le nostalgique No Pun Intended, à mon avis pas la chips la plus croustillante du paquet) qui permet au groupe d'atteindre sa véritable puissance. Et l'horizon s'ouvre aux variations de tempo (il faut réécouter l'hallucinant premier album, où il n'y a littéralement pas moyen de prendre sa respiration), aux breaks jouissifs, à quelques incartades pop. À l'audace même : je serais bien en peine de définir Diabolic Scheme, sinon par une imparfaite recension. Somme - hurlement saturé, violons, chœurs graves et inquiétants, charley-guitare sur tous les temps... un solo ?!! - qui fait comme une étrange et belle trouée dans l'album.
"Baaaaad / Baaaaad / Come again I tell no lies" - Joie pure, poitrine adulte gonflée à l’identique. S’ébauche un programme : construire dans la joie un Temps arraché, ne pas simplement trébucher sur le pavé mais se baisser, le ramasser… “Thank you” lâche Howlin’ Pelle, épuisé, à la fin de Diabolic Scheme : on aimerait lui retourner la politesse, sans ironie aucune.