Ummagumma
6.6
Ummagumma

Album de Pink Floyd (1969)

1969… Une année riche en événements, je vous l’assure. Neil Armstrong devient le premier homme à marcher sur la lune, Nixon désengage les Etats-Unis au Viêt Nam, Georges Pompidou est élu président, des palestiniens attaquent le vol El Al 432 à Zurich, Woodstock ouvre ses portes… et Pink Floyd sort… ça.

Ummagumma (qui, en argot cambridgien, veut dire “faire l’amour”), est le quatrième album studio du groupe ainsi que leur premier album live (oui, les deux forment un double-album). Et comparé à leurs trois précédents, The Piper at the Gates of Dawn, A Saucerful of Secrets et More, ce quatrième opus, pour moi en tout cas, est une vraie catastrophe.

Bon, je retire un peu ce que j’ai dit, tout n’est pas catastrophique, loin de là, le disque live, que nous allons ensuite analyser, est une brillante réussite, mais c’est surtout et malheureusement sur le disque studio que les choses se corsent de façon préoccupante.

Mais avant toute chose, commençons par le commencement: notre bon vieux Floyd démarre par un enregistrement live de Astronomy Dominé, un grand classique du groupe à l'époque, dans une version allongée (4 minutes pour l'originale contre 8), présentant plusieurs différences alléchantes qui la rend aussi intéressante que la chanson originale: les premiers couplets sont répétés deux fois et le milieu du morceau consiste en un break instrumental qui reproduit l’original, mais en ralenti. J’ai adoré cette section proposant un lent build up, ou le morceau semblait reprendre vie petit à petit. La première face continue avec Careful with that Axe, Eugene, qui, selon moi, représente le sommet du disque live. Elle aussi dans une version rallongée (l’originale dure presque six minutes contre neuf pour celle-ci), la chanson commence avec une longue et mystérieuse introduction qui offre ce que Pink Floyd savait faire de mieux: la mise en ambiance. La basse de Roger Waters en est un atout essentiel, accompagnée par les douces cymbales de Nick Mason, qui s’intensifient de mesure en mesure, le vibraphone de Richard Wright et les réverbérations de guitare de David Gilmour. L’ambiance est, comme je l’ai déjà dit, mystérieuse: la sérénité et la tension se confondent. Après trois minutes remplies d’une certaine appréhension, le crescendo s’accentue, avant qu’une voix chuchotante et complètement oppressante de Waters ne vienne troubler l’auditeur “careful… careful with that axe, eugene…”. On a l’impression, pendant à peine une seconde que les choses vont se calmer, mais voilà Waters qui revient à pleine charge avec un long cri primal, strident et terrifiant au possible, et là tous les musiciens se déchaînent subitement pour offrir un moment puissant, ou tout part en vrille. Les vrais héros de cette partie purement psychédélique sont indubitablement Gilmour, avec son solo de guitare, et Mason, en pleine forme, qui cassent la baraque. Tout est, si je puis dire, chaotiquement parfait. Petit à petit, cette partie perd d'intensité pour finalement laisser place au climat mystérieux qui avait si admirablement bien ouvert le morceau, avec des effets vocaux pleins d’ombre de la part de Gilmour et Waters. La version d’Ummagumma est pour le moins magnifique, surtout lorsque l’on la compare avec le single, qui malheureusement manque un peu d’ambition et ne rend absolument pas au mieux les idées musicales que cette composition avait à offrir. La deuxième face débute par Set The Controls For the Heart of the Sun, dans une version elle aussi étirée (5 minutes contre 9). Comme pour Astronomy Dominé, la version live de ce classique inclut un passage un peu “à vide” constituant un lent crescendo avant la remontée finale qui conclut honorablement le morceau, procédé qui permet d'installer davantage de suspense auditif, bien que, franchement, l’essence de cette variante diffère vraiment peu de l’originale. Le disque live se termine sur la plage titulaire de leur deuxième album, A Saucerful of Secrets, qui à l'époque, et toujours maintenant, suscite pas mal de réactions négatives. Je trouvais moi-même qu’il manquait un gros quelque chose a ce titre, et heureusement, c’est cette version live qui va combler une partie de ce vide ressenti (avant que celle de Live at Pompeii ne le fasse encore mieux, transformant ce morceau initialement redondant en un chef-d’oeuvre). Les trois premières parties de la piste suivent plus ou moins la version studio, si ce n’est que l’ajout évident de percussions, qui donnent un peu plus de goût. Mais c’est à la quatrième, que change complètement la donne: si la première interprétation offrait de belles parties d’orgue de la part de Wright, ici, on a droit a un gros bonus: Gilmour, Mason et Waters l’accompagnent, rendant cette section excellente. Cette modification plutôt importante était pour moi la bienvenue et très appréciable: en l’occurrence, c’est vraiment la variante live qui embellit le morceau. Au final, le premier disque d’Ummagumma rassemble une collection de morceaux live tout à fait de premier ordre, qui nous permet surement d'apprécier le Floyd de l'époque en concert dans toute sa splendeur. Le seul aspect de ces enregistrements sur lequel je cracherais peut-être un peu est la qualité du son: sincèrement, ce dernier n’est pas au top et l'ingénieur en question, Brain Humphries (qui participera plus tard a Wish You Were Here et Animals), nous offrira une qualité sonore beaucoup plus digeste par la suite.

Le disque studio, en revanche, sera-t-il à la hauteur? Suspense! Spoiler: non. Absolument pas. Déjà, une petite précision sur ce disque: ce n’est pas un travail d'équipe comme les trois précédents albums. En fait, il serait plus correct de qualifier ces cinq morceaux de compositions solo simplement réunies sous le nom Pink Floyd. Celui qui aurait eu cette super idée (je déconne, bien évidemment) n’est autre que Wright, qui, tellement emballé par le concept, finira en premier sa composition, entre autres la plus longue de tout l’album. Sa contribution est également la plus importante, bien qu’elle ne dépasse d’une minute à peine celles de Waters et Gilmour. Ceci dit, sa contribution en vaut-elle vraiment la peine? C’est ce que je me suis dit en écoutant la première partie de Sysyphus (4 parties en tout). Dans une ambiance de péplum, constituée de Mellotrons ombrageux, de timbales d’orchestre et de gros gongs (ces deux derniers joués par Norman Smith), Wright met en place rapidement ce qu’il a l’intention d'être une épopée symphonique. Bien vite, ce climat antique laisse place à un piano, très expressif, que Wright joue harmonieusement et lyriquement. Là encore, pas de problème, ces deux premières parties m’ont bien plu: c’est plutôt beau. Mais le beau temps ne peut durer éternellement, et ça part éventuellement en couille a partir de la troisième minute, lorsque Wright commence à prendre un léger tournant faisant penser au free-jazz, qui déraille finalement sur une cacophonie quasiment insupportable. La troisième partie ne fait qu’empirer les choses, avec sa section expérimentale tout simplement imblairable. Heureusement, celle-ci ne dure qu’une minute trente, malgré les apparences, et s'enchaîne sans trop de soucis à la quatrième partie, qui pourrait elle-même être divisée en trois séquences: la première est assez calme et mystérieuse, on se dit finalement que ça va se calmer, mais non, ça recommence dans la deuxième, avec un vibraphone totalement flippant qui surgit de nulle part et qui ne manque pas d’installer une atmosphère pleine d’angoisse et d’oppression. Presque insupportable elle aussi. Sysyphus, cycliquement, se termine la par ou il avait commencé: sa petite section péplum (en fait, il s’agirait de la première partie mise au ralenti). Aaaaaaaaaah. Mon pauvre Wright, tu m’as vachement déçu! Pourquoi? On ne le saura jamais, bien que le claviériste ait subséquemment exprimé son mécontentement et son regret au sujet de son poème musical. Objectivement, c’est une pièce plutôt ratée, mais qui franchement illustre bien l’aura antique du mythe de Sisyphe, et surtout ouvre le chemin au rock symphonique de leur opus suivant, Atom Heart Mother, qui sera de facture irréprochable. Bon, après 13 minutes de tension exécrable, c’est au tour de Waters de mener la danse, avec deux compositions. La première, Grantchester Meadows, nous offre du répit avec une ballade acoustique simplette et apaisante, avec une forte ambiance pastorale très relaxante, qui évidemment est la bienvenue. Musicalement parlant, cependant, je trouve ce morceau très plat: il ne se passe pas grand chose et cette guitare acoustique, répétant toujours la même série de notes pendant sept minutes, devient assez monotone après un moment donné. Mais bon, c’est toujours ça de gagné par rapport à la piste suivante, elle aussi de Waters, Several Species of Small Furry Animals Gathered in a Cave and Grooving with a Pict qui est sans nul doute le morceau le plus insupportable de tout l’album, constitué de bruitages, ralentis ou accélérés, qui jonchent cet arrière plan sonore expérimental, sur lequel se superposent aussi des cris saccadés et déformés, ainsi qu’un chant complètement guignolesque de la part de Waters (qui semble vouloir stupidement imiter un accent écossais). On a justement des doutes sur cette interprétation vocale: serait-ce Ron Geesin, collaborateur sur leur prochain album et écossais de surcroît, qui entonne ce chant ridicule? On ne sait pas. La longueur de ce petit collage n’est pas assez courte pour que l’on puisse le négliger: cinq minutes de cacophonie infernale! Si le morceau reste absolument dégueulasse, on peut toutefois lui attribuer une certaine créativité, car, il faut le dire, l'idée de base du morceau est quand même très (très) originale. C’est juste que son application a été… plus que désastreuse. Heureusement, une très belle surprise nous attend sur l’autre face: c’est à présent au tour de Gilmour de prendre les rênes du jeu, avec The Narrow Way, composé de trois parties. La première s’ouvre sur un spiral effect affectant sa guitare électrique, aussitôt rejointe par une petite guitare acoustique mélangeant des aspects de folk et de blues. Le climat est assez amusant (et déjà bien meilleur que sur les compositions précédentes), même si ce spiral d'introduction, qui revient souvent au cours de la section, m'énerve un petit peu a la longue. L’angoisse fait son retour à pleine charge dans la deuxième partie, ou la guitare électrique de Gilmour prend une tournure heavy metal, balançant un riff assez lourd, digne des premiers Black Sabbath, avec tout plein d’effets sonores comme le spiral, la réverbération, le delay et bien d’autres. C’est effectivement, peut-être, la section la moins réussie de la chanson. Celle-ci se conclut par un clavier tendu, qui sert de lien avec la somptueuse troisième partie. A première vue, pourtant, on craint que Gilmour ne nous donne le coup de grâce avec un instrumental encore plus glauque et terrifiant que le précédent, mais a la stupeur générale, c’est sur une note accueillante et chaleureuse que notre ami guitariste nous invite à ouvrir grand nos oreilles. La, Gilmour fait tout, tout, tout, tout, tout, démontrant ainsi ses remarquables talents de multi-instrumentiste; outre la guitare, il assure la basse, les claviers, la batterie et bien sûr le chant. “Following the path as it leads towards the darkness in the north…” commence-t-il alors avec un timbre doux, jouant à côté un piano ponctuel ainsi qu’une guitare curieuse. Magnifique, c’est sûr, cette voie étroite est le sommet de l’album. La batterie entre en action après le deuxième couplet, précédé d’un beau refrain, qu’il entonne à trois reprises. Contrairement à son jeu sur Fat Old Sun, qui, pour une raison étrange, manque un peu d’assurance, ici, les talents de batteur de Gilmour sont indéniables: on croirait entendre Mason! La chanson continue aussi joyeusement, offrant de belles parties de guitare électrique, superbement accompagné par des claviers mélodieux, une batterie stable et une basse colorée, et se termine sur un merveilleux fade-out quelque peu mélancolique et allègre en même temps. Mirifique, admirable. Cette troisième partie, qui malheureusement ne porte pas de nom comme celles sur la piste suivante, The Grand Vizier’s Garden Party, est un véritable chef-d’œuvre que le guitariste regrettera pourtant, trouvant sa composition prétentieuse et ratée. Dommage. Le disque studio, et l’album en général, se termine sur une création de Mason, intitulée The Grand Vizier’s Garden Party, constituée de trois parties:

i. Entrance

ii. Entertainment

iii. Exit

Le morceau s’ouvre d’une façon honorable: c’est l’épouse du batteur, Lindy Mason qui interprète une jolie petite partie de flûte, typiquement bucolique et empreinte d’une certaine sérénité. Malheureusement, Entrance ne dure pas longtemps: même pas une minute, avant de plonger dans une section expérimentale, Entertainment, qui rappelle les troisième et quatrième parties de Sysyphus. Immergé dans un arrière plan sonore de bruitages assez simplistes avec une flûte angoissante, notre petit Mason ne va pas très loin durant les cinq premières minutes, mais remonte de façon spectaculaire la pente en offrant un rare mais excellent solo de batterie (il n'était pas fan de cet exercice) qui aurait très bien pu décrire la fête du dit Grand Vizir. Et décidément, la cyclicité est récurrente chez Pink Floyd: c’est sur le même air de flûte pastoral qui avait commencé le morceau que se conclut la fête du Vizir. J’ai des sentiments plutôt mitigés mais pas foncièrement mauvais sur cette dernière plage, qui, si ce n’était que pour les bruitages expérimentaux de merde qui malheureusement occupent la moitie de la chanson, aurait pu faire un très bon morceau, tout aussi intéressant.

Un mot sur la pochette, a présent, si vous me le permettez, chers lecteurs: contrairement à l'album, cette couverture est absolument géniale! L’effet Droste, obtenu grâce à la répétition d’une image à l'intérieur d’une même photographie, crée une illusion admirable, et les positions maladroites et enfantines des membres du groupe annoncent de façon amusante l’album. On pourrait regretter un peu la dominance du brun, assez présent sur la photo, mais somme toute, c’est certainement l’une des pochettes les plus réussies du groupe.

Une conclusion que je désirerais aussi tirer de cette écoute est la suivante: si j’ai, comme vous avez pu le constater, pas trop apprécié les démarches musicales sur le disque studio (sauf celles de The Narrow Way), je me dois cependant de dire que cet album, aussi mauvais qu’il puisse paraître à certains, représente à fond l’esprit Pink Floyd, cette volonté d'expérimenter et de tracer de nouvelles frontières dans le monde de la musique. Le disque est peut-être dégueulasse, mais c’est bien cette optique-là qui est mise en avant.

1. Astronomy Dominé (9/10)

2. Careful with that Axe Eugene (10/10)

3. Set the Control For the Heart of the Sun (8,5/10)

4. A Saucerful of Secrets (9/10)

5. Sysyphus (5,5/10)

i. Part 1 (9/10)

ii. Part 2 (7,5/10)

iii. Part 3 (1,5/10)

iv. Part 4 (5,5/10)

6. Grantchester Meadows (5/10)

7. Several Species of Small Furry Animals Gathered in a Cave and Grooving with a Pict (1/10)

8. The Narrow Way (8/10)

i. Part 1 (7,5/10)

ii. Part 2 (6,5/10)

iii. Part 3 (10/10)

9. The Grand Vizier’s Garden Party (5,5/10)

i. Entrance (8/10)

ii. Entertainment (5/10)

iii. Exit (8/10)

(Le gras indique ma chanson préférée du disque)

C’est donc avec un sentiment mitigé et un peu rempli de déception que je conclus mon expérience avec Ummagumma, lui attribuant une note pas fameuse de 6/10, essentiellement due à l'album studio qui pour moi représente une catastrophe sonore sans nom (il y a juste The Narrow Way qui sort du lot). Ceci dit, ce n’est pas, à mon sens, le pire disque du groupe, car ma vraie confession de super grand fan du Floyd, c’est justement de ne pas aimer The Wall, album qui me plaît encore moins que celui-ci. Que voulez-vous? La musique est, et a toujours été une question de goûts...

Herp
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Créée

le 7 sept. 2024

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Herp

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