Je résume
Il était une fois deux BFFs, Sophie et Agatha. Sophie est blonde et diaphane, elle vit dans le placard sur l'escalier chez sa belle-mère qui la fait trimer comme souillon à l'usine. Agatha est brune,...
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le 26 janv. 2023
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La perspective d’un nouvel album du Cult, maître-étalon de maturité gracieuse dans la catégorie rock ténébreux, me rendait plus bouillant et moite qu’une pataugeoire en pleine canicule. Néanmoins, puisque c’est en volant haut que nos attentes risquent de tomber le plus bas, c’est avec prudence que nous nous dirigeons vers ce soleil de minuit.
Ils sont à peine une poignée, dans les groupes affichant quarante ans de carrière au compteur, à pouvoir prétendre avoir livré certains de leurs meilleurs albums dans la dernière décennie. The Cult est de ceux-là, puisque Choice of Weapon, sorti il y a dix ans cette année, compte parmi ses sommets discographiques, indéniablement le plus haut depuis Sonic Temple (je me battrai bec et ongle pour défendre ce que je considère comme un simple fait). Hidden City lui avait emboîté le pas en 2016, satisfaisant, fort en riffs (Dark Energy, Heathens) et riche de jolis moments stylisés (Birds of Paradise, In Blood, Deeply Ordered Chaos), mais moins équilibré que son prédécesseur, la faute (mineure) à un brassage de sons qui sentait fort le bilan d’une carrière éclectique forcément difficile à résumer avec cohérence.
Car The Cult a toujours brillé par sa maîtrise des contrastes et des extrêmes. Son noyau dur : la collaboration entre Ian Astbury et Billy Duffy. Ian, le mystique volcanique, adepte de littérature beat, de philosophie bouddhiste et de substances psychédéliques. Un mec ayant su être crédible en chantant pour les Doors, excusez du peu. Billy, le bras armé de Manchester, né à deux pas des Midlands ayant vu germer les membres des Spiders From Mars et de Black Sabbath. Un homme de son et de riff, marqué à vie par les Stooges, Thin Lizzy, les Pistols, les Dolls et The Man Who Sold The World. Yin et yang, esprit et cœur, noir et blanc, Tic et Tac, Boule et Bill et compagnie. La réalité est sans doute moins manichéenne, mais il est ludique de voir les choses ainsi. Et pratique pour analyser la carrière d’un groupe ayant tracé sa route avec un succès public variable, mais sans jamais livrer d’album honteux (je vous mets au défi d’en trouver un sans faire preuve de mauvaise foi). Et plus encore, qui sera entré dans le nouveau millénaire avec une classe à laquelle bien peu de ses contemporains peuvent prétendre. Quand bien même le tandem chanteur shaman/guitar hero a favorisé quelques clichés, force est de constater que le catalogue studio du Cult a foutrement bien vieilli. Même avec Electric, leur réalisation la moins audacieuse, le défi d’allier Doors et AC/DC aurait laissé pantois le commun des métalleux permanentés du Sunset Strip. La réussite n’est pas des moindres, même si Sonic Temple embrasse un horizon plus vaste et représentatif du groupe. L’album éponyme de 1994 et son successeur Beyond Good and Evil sont moins essentiels au regard de ce qui les a précédés (et suivis), mais une réécoute suffit à révéler deux disques parfaitement décents. Et même Born Into This, enregistré vite fait bien fait en 2007 sous l’égide de Youth, reste diablement efficace.
Comment se portent nos deux sexagénaires en 2022 ? Très correctement, merci bien. Ian peut remercier la clémence du temps, qui a peu voilé son timbre d’éternel enfant loup. Prévisible, me direz-vous, car l’âge sied aux barytons. On s’émoustille quand Leonard Cohen et Johnny Cash grondent dans les basses en traînant des scrotums hypertrophiés par les années, là où les ténors sous hélium de Jon Bon Jovi, Paul Stanley et autres Coverdale vieillissent le plus souvent avec la grâce d’une crème de lait tombée derrière le frigo (Steven Tyler et Glenn Hughes étant d’hallucinantes exceptions). Or, si la voix d’Ian est bien conservée, il n’en est que plus apparent qu’il chante de moins en moins conventionnellement. Délaissant le phrasé de hardeux Morrissonien qui avait icônisé les refrains de Sonic Temple, Electric et Ceremony, il a repris le cap amorcé en 1985 sur Love et momentanément dévié par Rick Rubin. Touchant terre à l’aube de la soixantaine, il tord et malmène ses inflexions comme Lou Reed, toujours avec cette vibrance en fin de phrase qui n’appartient qu’à lui. Vous vouliez l’entendre éructer comme sur Wild Hearted Son en 1991 ? Raté. Il a arrêté ça depuis… Wild Hearted Son, en 1991, justement. Vous savez ce qui n’est pas resté coincé en 1991, par contre ? Billy Duffy, brillant styliste à six cordes, qui a suivi son chanteur sur ce sentier de maturation transcendée. Car Duffy est une bête. Littéralement. Il joue superbement, glorieusement, tel un grand fauve anglais dont le moindre battement de paupière serait spectaculaire. Pas besoin d’en faire des caisses quand on a le feu sacré dans le petit doigt. Un œil rivé sur le spectre de Mick Ronson, son maître à penser, et toujours menaçant, tel Neil Young, de faire jaillir la lave en deux notes arrachées à une demi-caisse ou une Les Paul distordue. On l’imaginerait tout autant à l’aise à jammer en apesanteur avec Radiohead qu’à chaparder de la barbaque sanguinolente chez Guns N’ Roses. Avis aux gratteux qui aimeraient l’art sans vouloir renoncer aux amplis fumants : c’est comme ça qu’on fait.
Under The Midnight Sun trouve son titre dans le souvenir de l’édition 1986 de Provinssirock, où le groupe brillait sous l’inflexible soleil de l’été nordique. Mis en boîte au studio Rockfield (celui-là même où fut enregistré Dreamtime en 1984) et produit par Tom Dalgety, dont le CV inclut les Pixies, Ghost et Royal Blood, l’album fut retardé par la pandémie et finalisé avec une section rythmique locale (Charlie Jones, ex Plant & Page et Goldfrapp à la basse, et Ian Matthews de Kasabian à la batterie). L’écoute du single Give Me Mercy avait suffit à me porter la margoulette à ébullition. Ce refrain faussement simpliste, où la voix d’Astbury chevauche au coude à coude avec la Gretsch de Duffy… Ce mariage entre électrique et acoustique sur les couplets, tissant un fil post-punk jusqu’aux années quatre-vingt… A Cut Inside, dévoilée durant les semaines suivantes, donne l’impression de surprendre le groupe en plein live, avec des guitares lâchées tous crocs dehors sur une section rythmique qui riposte avec une élégance primale. “Love, love, love… Forget what you know”, est le refrain scandé sur Mirrors, titre d’introduction. On pourrait rire en le prenant au second degré, car si ce nouvel album garde un point d’ancrage dans le passé, c’est bien Love, dont les textures mélancoliques faisaient fleurir ce rock racé à ranger entre les Doors et Joy Division. Une comparaison avantageuse ? J’ai deux nouvelles à vous annoncer. Une bonne et une mauvaise. Commençons par la mauvaise. Ai-je mentionné que ce cher Ian avait toujours une belle voix ? Ah oui ? Vraiment ? Et bien, il se trouve qu’elle est enfouie au fond du mixage. Pas sur toutes les chansons. Juste la plupart. Ouaip. Il faudra faire avec. Ou sans. Ça dépend de votre vision du verre d’eau.
Heureusement, et c’est justement la bonne nouvelle, les huit titres de Under The Midnight Sun sont tous de très belle facture. Avec son beat dansant et ses arpèges tapissés de synthés, Vendetta X se rapproche des plages les moins hard rock de Hidden City. Les mélodies sont compactes, conservant cette sensation de puissance ramassée toujours prête à exploser, minimisant les effets de manche pour maximiser l’impact des chansons. Outer Heaven va plus loin, avec des guitares et des cordes que la batterie précipite sur un galop zeppelinien façon Immigrant Song. Le chant de Ian est impeccable. Dommage qu’il faille tendre l’oreille pour s’en rendre compte. Le mixage de Knife Through Butterfly Heart est plus net. L’intro croonée sur fond de claviers et de guitares acoustiques est d’une beauté faussement rassurante, débouchant sur des riffs tonitruants où guitare et basse copulent dans la fuzz, prises en tenailles entre des cordes baroques et des claviers oppressants. Impermanence est ce que l’album offre de plus proche de 1985, avec une basse gothique qui dégouline de chorus. Une familiarité qui est davantage le fait d’une intemporalité stylistique que d’une volonté de faire du neuf avec du vieillot. Il se trouve que le post-punk ténébreux n’est jamais passé de mode (ce ne sont pas Jehnny Beth et Fountains D.C. qui protesteront). L’album se clôt sur la chanson-titre, porteuse d’un lyrisme cinématique qu’on voit arriver avec des sabots de la taille d’un porte-avion. À ce stade de l’écoute, on sait à quoi s’en tenir. Ce qui ne ne veut pas dire que la claque est moins cuisante. Astbury chante comme Mark Lanegan sous perfusion de paillettes Bowiennes et les guitares de Duffy achèvent de brouiller les lignes entre punk, new wave et hard rock. Les plus érudits se rappelleront que son meilleur pote de collège est un certain Johnny Marr. C’est d’ailleurs Billy qui, lors d’un concert de Patti Smith en 1978, lui présenta un autre de ses amis, nommé Steven Morrissey. Suite, histoire, postérité, tout ça tout ça.
Tout comme le dernier-né des Yeah Yeah Yeahs, Under The Midnight Sun s’en tient à huit chansons pour moins de quarante minutes d’écoute. Raw Power style, baby. Un pari de concision potentiellement risqué, qui est aussi celui d’un groupe faisant confiance à la qualité de ses titres. C’est justement son excellente teneur qui permet à ce nouveau cru de tirer le meilleur de son format brachylogique, rendant chaque chanson essentielle à l’identité totale de l’ensemble. Presque quarante ans après avoir causé de phœnix sur Love, The Cult semble bien avoir pris l’habitude de renaître de ses cendres aussi souvent que possible. Les mauvaises langues argueront qu’on parle d’une collaboration en duo plutôt que d’un “véritable” groupe, ce qui peut faciliter les négociations créatives. On répondra que ça n’a pas encore permis à Placebo de se sortir des ronces. En attendant, Astbury et Duffy demeurent l’un des binômes guitare/voix le plus envoûtants du marché, même avec quatre décennies dans les pattes. Plant et Page n’ont pas tenu aussi longtemps et même si Mick et Keith continuent de donner le change en remplissant des stades, ils n’ont jamais trompé les plus intransigeants d’entre nous. Le passé pèse son poids, surtout quand il est glorieux. Ce n’est sans doute pas un hasard si Ian Astbury dédie ce nouvel album à Brian Jones. À bon entendeur.
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le 7 oct. 2022
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