Une enfant du siècle, le dernier album - concept ! - d'Alizée, aurait pu avoir pour sous-titre "Chronique d'un lynchage annoncé". Voilà ce qui arrive, en ces temps incertains, quand on sort un CD qui s'éloigne un peu des sentiers battus, surtout lorsqu'on est un artiste qui les a maintes fois foulés. Car soyons honnêtes : jusque-là, la musique d'Alizée n'avait jamais vraiment brillé par son originalité. Cependant, il faut croire que cela suffisait au grand public, celui-là même qui l'a vu grandir, et ne lui pardonne pas son récent virage musical. Apparu ces jours-ci en avant-première sur le site Deezer, l'album suscite en effet un nombre affolant de réactions négatives. Entre les auditeurs de passage qui livrent leurs premières impressions avec la délicatesse d'un taureau qui charge (exemple : "C'est de la meeeeeerde !"), les fans inconditionnels aussi objectifs qu'Alain Delon devant son miroir ("Arrêtez de critiquer, c'est méchant, si ça vous plaît pas n'écoutez pas, ouiiin !"), les adorateurs de Mylène Farmer qui viennent déverser leur bile pour sanctifier leur idole ("C'était mieux avant, bien fait pour elle, fallait pas lâcher notre Ange Roux ! - sanglots"), ceux qui jugent en écoutant un seul morceau et / ou les pervers qui regrettent le temps du clip de "Moi... Lolita" où elle exhibait ses seins de jeune pucelle, on ne peut pas dire que le tableau soit franchement reluisant. D'où cette question : mais pourquoi ce disque déchaîne-t-il autant de passions ?
Parmi ces détracteurs, certains développent tout de même un minimum leurs arguments : le problème viendrait donc, dans l'ensemble, des sonorités années 80 qui caractérisent cet album. Déjà, on aurait envie de leur répondre que sans cette période bénie pour la musique, la plupart des choses qu'ils écoutent actuellement n'auraient jamais existé. Mais laissons ces considérations de côté pour en revenir au sujet principal. Il est vrai que dès le premier titre, "Eden Eden", le ton est donné : orgue Bontempi, voix candide, mélodie sucrée... Il y a de quoi laisser n'importe qui circonspect, sauf peut-être les vrais nostalgiques et les gens ouverts d'esprit, capables de reconnaître cette énorme prise de risque (car c'en est une !). On comprend alors ce qui agace tant les autres : Alizée, que l'on voyait encore comme une lolita adolescente et aguicheuse, aurait-elle mystérieusement plongé dans un bain de jouvence pour devenir une lolita capricieuse de huit ans ? C'est là toute la performance : il y a 25 ans, Mylène Farmer disait, dans l'une de ses chansons, ne plus vouloir grandir ; Alizée a fait mieux : elle a rajeuni ! Pas étonnant que ceux qui espéraient peut-être la voir devenir adulte aient pris une méchante claque. Mais après tout, à quoi s'attendaient-ils ? "Enfant" : c'est écrit dans le titre ! Il fallait, simplement, le prendre au pied de la lettre.
D'autant que, jusqu'au bout (et pourtant, moins de quarante minutes pour dix titres, c'est plutôt court), cette gamine rebelle n'aura de cesse de jouer cette même partition de pop synthétique, agrémentée de paroles aussi naïves que les scénarios des séries d'AB Prod' (il faut bien que tout cela reste cohérent), chantant tantôt en français, en anglais ou en espagnol. Le thème qui a inspiré cet opus - les mannequins de la Factory de Warhol - apparait en filigrane dans les textes mais reste plutôt discret, sauf sur le très explicite "Factory girl" (excellent morceau par ailleurs). Pour le reste, on pense forcément aux premières incarnations d'Elsa ou Vanessa Paradis ("Eden Eden", "Mes fantômes"), à Meccano ("La Candida"), aux génériques des dessins animés d'antan ("A coeur fendre"), mais aussi à des artistes plus récents, comme Britney Spears ("Les collines") ou Sébastien Tellier ("Limelight"). Alizée et ses collègues d'Institubes ont beau flirter avec le plagiat sonore, l'ensemble s'avère étonnamment original et bourré de mélodies imparables, tantôt candides, tantôt plus mélancoliques. L'exercice de style fonctionne donc parfaitement et à le mérite de remettre les synthés sur le devant de la scène, trop souvent considérés comme les parias de la musique moderne. Conclusion : on en vient à se demander ce qui peut tellement déplaire aux détracteurs susnommés, si ce n'est qu'avec ce CD, Alizée a peut-être décidé de quitter un chemin balisé pour explorer d'autres horizons plus confidentiels... N'en déplaise aux moutons et aux fans courroucés de son ancien pygmalion !