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C’est l’histoire d’Alizée, petite poupée de cire que de véritables artistes modèlent selon leurs fantasmes. Farmer en avait fait un chef-d’œuvre, lolitado au regard de braise, pouponne et popute. Contrainte de choisir entre son pygmalion et l’amour, elle pencha évidemment pour ce dernier et fuit, des rêves d’indépendance plein la tête.
Jusqu’au jour où sa cavale lui fit rencontrer une bande de bonhommes charismatiques, Tahiti Boy et Château Marmont. Ils avaient la hype, mais pas l’exposition ; le talent, mais pas la muse. C’est ainsi que commencent les relations fructueuses.
Dans les grands yeux noirs et pétillants d’Alizée, sa jeunesse de papier glacé et sa docilité, ils virent l’opportunité de raconter une histoire. Celle d’Edie Sedgwick, chouchoute photogénique d’Andy Warhol dans les années 60, morte à 28 ans (soit à peut-être l’âge d’Alizée en 2010) d’avoir visité des paradis trop artificiels. Voici donc Alizée projetée cinquante ans en arrière, dans l’univers historique et imaginaire de l’underground new-yorkais.
UNE ENFANT DU SIECLE est le résultat de ce pari fou qui, à l’instar de la Factory, touche à tout : musique bien sûr, mais aussi vidéo, photo et écriture. L’édition collector de l’album est ainsi un objet magnifique, une boîte aussi intrigante et classe que l’album qu’elle renferme.
Car ce disque, bien que boudé par les bien-pensants que le seul nom d’Alizée fait tourner de l’œil et des oreilles, est une réussite absolue. Inattendue et envoûtante, intelligente. De l’émerveillement de son arrivée dans la Grosse Pomme (« Grand Central ») à sa mort (magnifique « Mes fantômes »), en passant par son mal-être et ses addictions, chaque chanson éclaire une facette du destin d’Edie. Les références s’accumulent, les langues s’emmêlent (anglais, français, mais aussi espagnol, seul faux pas du disque). Les textes, souvent opaques, parfois parlés, intriguent ; dans cet album concept, les vers louchent du côté du dialogue de film. UEDS mérite une écoute livret à la main.
La véritable surprise provient cependant de l’alchimie vaporeuse qui émane du mélange entre les mélodies électro des Château Marmont et la voix d’Alizée. Enfantine comme jamais (« Eden Eden »), elle s’assombrit au fil de l’album, s’éloigne et se fait mécanique. L’auditeur sent qu’il perd Edie.
Oubliez Alizée, oubliez le reste de sa discographie. UEDS est un îlot qui surnage, sans rapport ni équivalent dans ce que la demoiselle avait fait avant ou fera par la suite. Une parenthèse, donc, mais si belle qu’il convient presque de parler de miracle.