Anna Meredith est une compositrice de formation classique. Elle flirte depuis longtemps avec différentes formes de musique pop (faute d'un meilleur terme). Cet album est son premier LP, un statement comme elle dit.
Après trois écoutes attentives, je suis exténué, et un peu perplexe. Indubitablement, chaque titre est le fruit d'un travail passionné. Pas de remplissage, pas de transition facile, de répétition crétine, d'ad lib. juste pour finir. On sent partout l'intransigeance de l'oreille classique. Et dans les domaines extrêmement différents couverts par le disque, on a partout des propositions très convaincantes.
[Nautilus] On ouvre en fanfare (littéralement) sur des modules à la Reich qui se déploient progressivement dans une marche (très) virile. De l'electro testostéronée. Qui cède le pas sans transition à une brit-pop de bonne facture [Taken], qui pourrait sembler un peu idiote si n'affleurait à chaque moment une sorte d'intention ironique malsaine du meilleur effet. Mais le disque tourne et nous voilà déjà dans une ritournelle synth-pop sauce patchinko parfaitement énervante [Scrimshaw], dont le tempo s'englue étrangement par moments, histoire de se maintenir en alerte. Là-dessus voilà une chansonnette girly en duo overdubbé [Something Helpful] qui transcende le genre avec des harmonies qui rappellent Michael Nyman.
Transition ? Quelle transition ? [R-Type] nous ramène aux marches guerrières, avec des lignes solistes très rock-prog surfant une masse vertigineuse de strates sonores. On retrouve son souffle sur [Dowager] balade synthétique sur laquelle la voix masculine flirte avec les limites du haute-contre. [The Vapours] se déploie le long d'un rythme ostinato dans la veine opera-rock épique ouverte par Nautilus et R-Type.
Les choses s'apaisent avec les glissendi de [Honeyed Words], jouant des modulations de fréquence continues que permettent les cordes et les synthés. Blocs de pulsions staccato, on est de retour chez Reich avec [Last Rose], dont la structure rythmique empêche le chant de sombrer dans l'anecdote.
Comme il reste un fond de pétrole et que l'album touche à sa fin, Meredith décide de mettre la poignée de gaz dans le coin, avec un [Shill] manifestement destiné à plaire aux tankers de WoW. Au moment où la fumée du kitschomètre se dissipe (il vient de cramer), le disque offre sa dernière cascade musicale avec [Blackfriars] une belle pièce méditative pour cordes, orgue et métronome.
On sort de là un peu sonné.
Qu'est-ce qu'on aura entendu ? Je dirais : une série de caprices, de capprici à la manière baroque, d'une artiste à l'oreille profondément marquée par le minimalisme (Reich, Glass et Nyman) et qui décide de se livrer sans retenue dans le monde des musiques populaires actuelles. Le résultat est brillant, très singulier, mais à mon sens il manque d'unité dans le propos. Meredith est seule aux commandes, elle se fait plaisir et veut partager. Quel mal y a-t-il à cela ? L'excellent Olivier Lamm de The Drone l'écrira pour moi :
Seule ombre à ce tableau couvert de partitions graphiques multicolores qu'il nous faut montrer du doigt par honnêteté intellectuelle, c'est qu'Anna Meredith ne fait vraiment pas dans la dentelle et sa recherche un peu systématique du "wow effect" en laissera forcément quelques-uns sur le bas côté. Rien de plus naturel. Varmints est emphatique, ostentatoire, un peu vulgaire.
Je ne saurais mieux dire, mais c'est peut-être un détail. Parce que le disque est en fusion et qu'il t'emmène entendre quelque chose. Et c'est assez rare, finalement.