Viet Cong et moi avons au moins un point en commun : on est pas du genre matinal. Au moment fatidique d'ouvrir les yeux, même combat. Même incapacité d'être efficace au petit matin, même difficulté à se décrasser. Viet Cong au réveil, c'est à dire au long de ses deux premières pistes, c'est laborieux. "Newspaper Spoons" balance des coups mal ajustés derrière une prod crasseuse à souhait, mais encore trop brouillonne pour rendre justice à ce qui n'est en somme qu'une ritournelle psalmodiée d'une bien étrange façon. La force de frappe du groupe est loin d'avoir atteint son apogée. "Pointless Experience" est plus clair, mais c'est pas encore tout à fait bon, ça tourne un peu à vide. Au moins ça se décrasse, chacun son rythme ! Mais vue l'heure, il faudrait pas tarder à se lever les gars sinon vous allez rater le train et vos auditeurs aussi.
Heureusement le bien-nommé "March of Progress" débute, et Viet Cong se lève enfin. Les premiers pas hors du lit sont les plus périlleux. L'oreille engourdie, l'équilibre incertain, le groupe titube. Ceci dit, le plus dur est derrière lui. Son cœur bat à présent à toute vitesse, de façon régulière, tandis qu'il s'accroche à chaque nouvel arpège en se rêvant Tarzan voltigeant de liane en liane. Alors qu'il se frotte les yeux en s'étirant, Viet Cong n'a plus qu'une envie ; chanter sa joie retrouvée. À partir de ce stade, les Canadiens sont sur les rails et ne feront plus que s'élever pendant 25 belles minutes, atteignant même un sommet pop ("Continental Shelf") en plein milieu. Allant de rythmiques concassées en refrains fantomatiques, alors que la production s'éclaircit progressivement, Viet Cong fait preuve d'un grand talent dans la capacité à faire coexister des sonorités a priori opposées. Il n'y a qu'à prendre le final "Death" et ses onze minutes effrénées : la pureté cristalline du motif de guitare, en introduction, semble indiquer qu'on se dirige droit vers une chanson pop, tandis que le morceau se mue peu à peu en un monstre post-punk répétitif, monolithique, presque bruitiste. Et ce sans pour autant qu'on ai l'impression d'une rupture. C'est plutôt entre deux coups de boutoirs qu'on se demandera comment on en est arrivé là, sans réponse immédiate.
Dommage en somme que Viet Cong soit aussi lent à se réveiller. Il prend le risque de perdre l'auditeur en route avant même d'avoir pu dévoiler ses quelques merveilles, et coupe court à toute frénésie du bouton "repeat". Or l'album est fait pour ça ; court, efficace, pop (parfois), effréné. Un matériau idéal pour l'écoute en boucle. M'enfin, ça n'en fait pas un mauvais bougre pour autant. On attendra juste du groupe qu'il coupe certains bâillements au montage la prochaine fois !