Mark Linkous, l'homme derrière Sparklehorse, est un génie complètement hors du temps et des modes. N'appartenant à aucun mouvement précis, il émerge au milieu des 90's avec cet album au nom imprononçable.
En vérité, l'objectif de Linkous est clair (il l'a confessé par la suite plusieurs fois en interview) pour ce premier opus : faire un Swordfishtrombone (album mythique mais très difficile d'accès de Tom Waits) pop. Tout simplement. C'est que Mark Linkous est totalement admiratif devant la musique de l'ovni des 80's, mais il est aussi fan de punk (Sex Pistols, Damned, ...). A cela on peut ajouter qu'on décèle une influence du Neil Young de Tonight's The Night dans la voix murmuré et étranglé de Linkous.
Ces influences diverses vont mener Sparklehorse à réaliser un album totalement atypique, mêlant des chansons extrèmement lentes et mélancoliques et des accès de violence électrique surprenants après tant de douceur. Ce qui étonne aussi c'est la qualité des mélodies : que ce soit l'aérienne "Saturday", la très mélancolique "Home Coming Queen", la sombre "Spirit Ditch", l'épique "Cow"... (la liste est longue) toutes déroulent des mélodies miraculeuses, et l'on finit sidéré par le nombre de chansons de la trempe du meilleur du folk mélancolique des années 60-70.
"Sad & Beautiful World" est certainement l'une des plus belles. Cette chanson absolument sublimissime reste très méconnue, pourtant Sparklehorse semble atteindre ici une certaine idée de la grâce... Magnifique ballade susurrée par une voix à bout de souffle, elle dévoile une belle slide guitar (présente aussi sur l'adorable "Heart Of Darkness") qui donne un côté tranquille à cette confession apaisée sur l'ambiguïté du monde, si triste mais tellement beau en même temps...
"Most Beautiful Town" est une ballade plus classique (guitare-voix) qui ferait pleurer n'importe quel coeur de pierre...
A côté de cela, il y a donc aussi des fracassantes élancées punks à base de grosses guitares distordues ("Rainmaker", du rock bruitiste binaire). "Rainmaker" et d'autres (tout comme les intermèdes non-musicaux) ont en fait pour but de rompre le confort auditif, afin de ne pas rendre une copie uniforme qui pourrait être plate. Cependant Linkous, même quand il s'énerve, n'en oublie pas la mélodie, comme en témoigne le sublime refrain lumineux de "Someday I Will Treat You Good", ou le noisy-pop très Pixies "Hammering The Cramps".
Mais en fin de compte il se révèle que, par on ne sait quel miracle, Sparklehorse parvient à maintenir une cohésion sidérante tout le long du disque, une ambiance tantôt dérangée, enragée, tantôt triste et mélancolique, et parfois même apaisée et heureuse, mais dévoilant tout du long un songwriter profondément humain et écorché par la vie.
Enfin venons-en à la production de l'album, qui est aussi un chef-d'oeuvre : la voix faible de Linkous ressort très bien, les guitares sont impeccablement enregistrées, le tout est très fouillé, grouillant de petits détails, petits bruits électroniques, etc. rendant cet album d'une incroyable richesse qu'on ne finit jamais de redécouvrir.
On est ici, d'après moi, en présence d'un des meilleurs disques de tout les temps, rock et folk confondus.
La musique de Sparklehorse a souvent été décrite comme mélancolique et lumineuse.
Comme si de la tristesse la plus profonde surgissait la beauté la plus forte.