Ça sent le passé.
Celui qu'on n'efface pas, celui qui reste ancré à jamais dans ta mémoire. Ça sent les détails que tu crois avoir oubliés, mais qui n'attendaient que quelques notes, qu'un signe, qu'une voix pour refaire surface. Les relents d'adolescence, d'un spleen trop vite égaré. Ces éléments d'une époque aujourd'hui terminée.
Une époque sale, terne. Une époque où tu traînais péniblement tes pompes d'un bout à l'autre du lycée, où tu perdais des après-midis entiers simplement assis dans l'herbe à en fumer. Un temps où l'avenir se conjuguait au passé. No future comme ils disent.
Ça sent la bière, celle que tu découvrais avec tes potes au fond d'un garage entre deux répéts, pour célébrer la naissance du rock. Le cannabis, celui qui te faisait oublier tes doutes, tes tracas, tes soucis. Celui qui scellait l'union d'une bande de potes de lycée, à la vie à la mort.
Ça sent l'adolescence. Des moments perdus entre joie et chagrin, mais l'impression avant tout d'avoir vécu, d'avoir eu l'opportunité de vivre. Mais vivre, c'est faire des choix, et ne plus pouvoir revenir en arrière.
Ça sent la nostalgie d'un type qui a choisi l'indie pour s'exprimer, qui noie ses regrets et son chagrin dans l'alcool, d'un type qui a fondé un groupe tout seul. L'accompagneront qui pourront le moment venu. Sparklehorse, c'est lui, Mark Linkous. Le reste, on verra.
Pour l'instant, on plane. On s'envole, on part le suivre dans sa balade fracassée, enfermés dans une bulle. La bulle de nos illusions, vouée à éclater.
Quand elle éclate, ça sent l'alcool. Le Valium, les antidépresseurs. Ça sent même la chambre d'hôpital. Le retour à la réalité des fois, ça vous coupe les jambes. Heureusement ici, ce sera juste une longue rééducation et un passage en fauteuil.
Quand on vit dans le passé, deux possibilités : la rébellion désabusée du grunge, ou bien la nostalgie autodestructrice comme pour Sparklehorse. Une pop mélancolique, intérieure, qui invite à laisser tomber le présent pour revivre, quelques minutes, une époque rêvée, ou du moins traversée comme un rêve. L'époque de l'inconscience, de l'innocence.
Ça sent la musique. Celle qui fait planer, sauter de nuage en nuage, pour jouer avec le vent. C'est lui qui fait vibrer les cordes, vocales ou non, lui qui imprime sa légéreté éthérée, diaphane. C'est lui qui peut s'énerver pour régénérer un rock plus sauvage. De cette alternance naît le sentiment mélancolique de l'album, c'est par là que la nostalgie frappe.
Finalement, après une vingtaine d'années de carrière, entre son groupe mutagène Sparklehorse et ses collaborations nombreuses, on le retrouve là Mark Linkous. Le 6 mars 2010, seul dans le froid de Knoxville, assis sur le trottoir.
Un fusil pointé sur le coeur.
Ça sent la poudre.