Vol 4
7.6
Vol 4

Album de Black Sabbath (1972)

Black Sabbath a accouché d’un géant, Master of Reality est un diamant d’une noirceur tellement opaque qu’il semble destiné à ternir tout ce qui le précède et tout ce qui est amené à lui succéder. Un an plus tard, en 1972, le quatuor aux poumons encore fumants de Marie-Jeanne, décide de rompre avec cette dernière. Elle paraît bien pâle lorsqu’on la compare à leur nouveau béguin : une princesse poudreuse sud-américaine drapée d’un blanc immaculé.
Pour l’enregistrement de ce Vol. 4, titre très prosaïque et trivial qui remplace Snowblind, le titre original, dont référence très peu subtile à la cocaïne ne fut que très peu appréciée par les distributeurs du disque, Bill, Geezer, Ozzy et Tony composent et jouent leur musique en étant perpétuellement gavés de poudre blanche, qu’ils se faisaient d’ailleurs livrer dans de grosses enceintes en bois.

Le long et versatile Wheels of Confusion ouvre le bal. L’intro, où la guitare mélodieuse d’Iommi se taille la part du loin, fait penser à celle de While my Guitar Gently Weeps des Beatles, en évidemment beaucoup moins gay et prépubère. Le morceau est déroutant, on change plusieurs fois de style, nos esgourdes oscillent entre du lent et du rapide, de l’abrasif et du poli. Le final, totalement inattendu ou presque même à la limite de l’incongru, est somptueux. L’utilisation nouvelle du clavier (mellotron) se distingue par un riff simple et magnifique dans lequel vient se nieller un solo de guitare perlé de braises ardentes délivré par l’inhumainement doué guitariste moustachu. Encore une perle méconnue du groupe.

Tomorrow’s Dream est le morceau de remplissage. Bien qu’il ne soit pas dénué de qualités, loin de là, il ne marque pas non plus au fer rouge notre centre mnésique. La guitare est lourde, les riffs inspirés, la rythmique solide comme un imperturbable bovin belliqueux…bref, c’est du Black Sabbath quoi. Comme beaucoup d’autres (bons) morceaux, celui-ci souffre la comparaison avec les innombrables chefs d’œuvres du
groupe.

Evil Woman, présente sur le premier album, était pour moi la seule et unique chanson nulle du groupe, avec Changes, ça fait deux. Située à des années lumières des deux ballades précédentes, les hypnotiques et sidérales Planet Caravan et Solitude, Changes est clairement une fausse note. Ozzy et sa voix de chasse d’eau vétuste affecte l’émotion, c’est faux dans tous les sens du terme. Un riff de mellotron très indigent (bon j’exagère, il se dégage quand-même quelque chose, et pour le chant d’Ozzy aussi) se répète en boucle tout le long du morceau, qui joue à fond la carte larmoyante en abordant le thème de la rupture sentimentale, épisode douloureux que traversait Bill Ward au moment de l’enregistrement.

Pour FX, bon, comment dire ? Des trucs. Il se passe des trucs et ça donne des machins. Sans doute le résultat de gavage de narines trop excessif. Cette piste très bizarre a au moins le mérite de faire marcher notre imagination, on se demande dans quel état les quatre bougres étaient quand ils ont enregistré ça. On s’amuse à personnifier cette chose en visualisant Tony Iommi sous coke, dormant nu dans une baignoire tout en bidouillant sa guitare. Ozzy, béatement idiot, tripotant des boutons. Geezer, feignant d’être apte à la créativité artistique, approuvant ces babioles auditives d’un air sérieux. Bill Ward, perché comme jamais, en pleine déconcentration, trop occupé à imaginer son pantalon rouge qu’il portera sur la pochette de Sabotage.

Supernaut est le morceau burné, la synthèse musicale de mâle alpha de l’album. Difficile de rester insensible à ce riff et ce jeu de batterie qui, par leur virilité flegmatique, évoquent la force tranquille, la carrure inébranlable d’un mâle qui, la clope au bec, découpe nonchalamment du métal avec une disqueuse sans se soucier des équipements de protection ad hoc. Car de la solidité, il en faut pour soutenir le solo encore incroyable de groove et d’intensité impassible que nous sort le patron Iommi sur cette chanson. Le meilleur passage, pour moi, est d’ailleurs quand le riff burné au possible redémarre après ledit solo. Cette tranquillité imperturbable qui vient faire suite à une explosion titanesque de magma en fusion m’éclate à chaque fois.

S’ensuit un long solo de percussions, qui me rappelle celui (monumental) d’Aerosmith qui introduit leur concert A Little South of Sanity.
Snowblind, c’est la perle absolue de l’album. La pochette monochrome, où un Ozzy orangé tranche avec le noir ébène omniprésent en fond, symbolise pour moi l’invitation du groupe à nous rendre en enfer, dans la psyché des ravagés de la coke. Je ne peux m’empêcher de visualiser cette pochette, et le chanteur à veste à franges qui fait ici office de Charon. Snowblind fait mouche immédiatement, il s’en dégage une mélancolie et une noirceur qui saisissent notre cœur et notre âme pour ne plus les lâcher. L’âme lacérée d’Ozzy se ressent dans son chant, monumental de douleur et parfait pour personnifier l’inconscience maladives des accros à la poudre blanche. Ce genre de chanson se heurte souvent à l’écueil suivant : tomber dans le larmoyant et le racoleur, dans le manichéisme énervant. Pour Snowblind, il n’en n’est rien, le piège est évité avec majestuosité. Notre âme navigue sur l’Achéron et on est aveuglé par la puissance de l’œuvre, par la froideur qui en émane. Le pinacle est atteint lorsque, après un solo encore dantesque, le riff reprend en étant sublimé par de simples accords de claviers, parvenant brillamment à napper de ténèbres ce chef d’œuvre absolu qui s’achève en apothéose.

Dès l’intro, Cornucopia nous donne envie de dominer le monde après avoir vendu son âme au diable. C’est l’effet que ça m’a toujours fait, et c’est d’ailleurs le seul morceau que j’avais retenu lors de mon dépucelage auditif avec cet album, quand j’étais jeunot. Ce riff démoniaque m’avait immédiatement inspiré cette image, celle d’un être corrompu par le malin qui parvient à ses fins et qui s’en réjouit. Cornucopia signifie corne d’abondance, et on a ici une abondance de noirceur corrosive. La suite est différente, car le rythme s’accélère et la chanson perd en unicité. C’est toujours aussi lourd, aussi décapant, mais rien de marquant quand on connaît les joyaux que ce groupe peut pondre.

Laguna Sunrise est la ballade à la guitare acoustique et sans parole de l’album. Troisième fois de suite qu’ils se livrent à l’exercice (oui je pinaille pour Embryo). C’est sympatoche et plutôt beau, mais beaucoup moins poignant qu’Orchid et ses arpèges magnifiques et son harmonisation à la basse. Iommi a d’ailleurs composé ce morceau après une nuit blanche passée en Californie, lorsqu’il contempla l’aube sur Laguna Beach. Ce genre de mièvreries de godelureaux à midinettes excessivement crédules ne correspond tellement pas à Black Sabbath et son dieu absolu de guitariste qu’il serait cocasse de ne pas évoquer cette anecdote improbable.

Quand j’étais petit et que je me tortillais en réponse à une énorme envie d’uriner, ma grand-mère me disait que je faisais la danse de Saint-Guy. En traduisant ce titre, St Vitus Dance, j’ai immédiatement pensé à ça. Bref, c’est un titre trompeur, car elle sonne très joyeuse mais aborde un thème plutôt triste, au cynisme et au nihilisme assumés. Black Sabbath qui joue du joyeux, ça ne fonctionne pas vraiment avec moi, j’ai l’impression d’entendre un groupe mielleux et gnangnan comme les Beatles ou One Direction. Dispensable, malgré le caractère intéressant donné par son ambivalence.

Under the Sun fait figure d’ovni. Grosse intro, riff addictif (j’aimerais l’écouter ad vitam aeternam, qu’il ne s’arrête jamais, je ne sais pas trop expliquer pourquoi), Ozzy qui s’imite bien puis, d’un coup, la chanson se transforme en Speed King de Deep Purple et Ozzy chante étrangement différemment, avant que le riff addictif ne revienne nervurer ma capacité de résister à la dépendance. Un riff curieusement distinct prend ensuite le relais pour soutenir un solo encore magistral du guitariste qu’on ne présente plus qui vient clore l’album de manière digne et grandiose.
Vol.4 ne pouvait pas se hisser vers les hauteurs célestes de son prédécesseur.

L’unité inhumaine présente sur Master of Reality fait défaut ici, la faute de certains morceaux peu inspirés, dont une ballade niaise à souhait. Sans doute les quatre bougres étaient-ils plus sensibles à l’herbe qu’à la poudre blanche au moment de composer et de créer. Toutefois, cet album regorge de perles monumentales, on fait de nouveau face à une clef de voûte du groupe, à un chef d’œuvre intemporel.

Ubuesque_jarapaf
9

Créée

le 20 août 2022

Critique lue 11 fois

Critique lue 11 fois

D'autres avis sur Vol 4

Vol 4
Vincent_Labourdette
7

VOL 4 : SKI HORS PISTE SUR DE LA POUDREUSE

Après 3 albums devenus culte par leur inventivité et des tournées harassantes, Black Sabbath décide de prendre des vacances. Attention on te parle de vacances de rock star, s'agit pas de siroter...

le 3 sept. 2014

5 j'aime

Vol 4
GuillaumeL666
8

I'm going through changes

Pourquoi cet album-là et pas un autre dans l'immense carrière de Sabbath ? Parce qu'il y a Changes. Je trouve ce morceau magnifique alors j'avais envie d'écouter ce qu'il y avait autour. Et ce que...

le 2 avr. 2020

3 j'aime

Vol 4
ThomasHarnois
8

La quadrilogie parfaite du heavy metal ?

« Vol 4 » est un album de haute volée et d’une très grande richesse musicale. Les six premiers titres sont pratiquement tous exceptionnels, la deuxième partie du disque étant d’un niveau moins haut...

le 4 avr. 2021

2 j'aime

Du même critique

Leftoverture
Ubuesque_jarapaf
9

Pain de grande qualité

Tout le monde connaît Carry on Wayward Son, c’est un morceau mythique qui donne forcément envie de découvrir ce que Kansas sait faire d’autre. C’est dans cette optique que j’ai écouté Leftoverture,...

le 22 sept. 2023

4 j'aime

Kleo
Ubuesque_jarapaf
1

Belmondo, Seagal, Norris et Bruce Lee ne font pas le poids.

J’aurais pu mentionner Popeye aussi, mais celui-ci ne devient invincible qu’une fois après avoir ingurgité des épinards, faiblesse qui l'exclut donc de la perfection. Bugs Bunny, j’y ai pensé aussi,...

le 21 oct. 2022

4 j'aime

5