C'est une question à poser : le rock peut-il éternellement se renouveler, ou est-il condamné à toujours renvoyer, d'une façon ou d'une autre, à ses origines ? Car bon, qu'on se le dise, sa forme est limitée dans l'absolu (comme le rappelle la fameuse blague, le rock, c'est 3 notes pour mille personnes, alors que le jazz, c'est mille notes pour trois personnes).


Bien sûr, il n'y a pas eu que les Beatles et les Stones dans l'histoire de la musique populaire : il y a eu le punk, le metal, le progressif, le shoegaze, l'indus, mais tous ces genres étaient quelque part une réaction ou une suite logique aux avancées des soixantiens, qui eux-mêmes découlaient du rockabilly, du RnB, du blues... (on peut remonter très loin)


Bon, le fait que je ne connaisse rien de rien aux groupes actuels rentre aussi dans l'équation, mais voilà, ceux que j'aime (et, par extenso, ceux que je trouve les meilleurs) me rappellent souvent les Kinks, les Beatles, et autres influences plus ou moins 68. MGMT = foutoir psychédélisant east-coast, Temples = Beatles, King Gizzard = Pretty Things période Defecting Grey, Ty Segall = bourrinerie Who-like psychédélique, Mac DeMarco = KINKS hawaïens, Barna Howard = Dylan / Cohen...


Il y a aussi le fait que l'on a besoin, quoiqu'il arrive, de dresser des ponts entre les époques d'un point de vue critique pour mieux définir ce qui arrive : à l'époque de la britpop, tout le monde évoquait déjà les Kinks, les Beatles ou Scott Walker. Mais voilà mon point : peut-on faire de la musique en arrivant à ne pas faire ressortir de profondes influences ? Est-on, du coup, condamné à ne pouvoir entendre que des groupes exploitant la palette des plus importants, Stones et Beatles en tête ? Peut-on indéfiniment REcréer ?


La question se pose particulièrement pour cet album de Foxygen : sur No Destruction, on croit entendre Mick Jagger période Let It Bleed (en plus doux), sur San Francisco, c'est les Kinks qui apparaissent à travers le prisme de la mélancolie surannée, Oh Yeah n'est pas sans faire penser à Miss You, Oh No invoque directement les spleens planants et désabusés de John Lennon (sans parler de la fin, référence immédiate à The End)... Pas très original tout ça.


Et pourtant... Tout sonne si Foxygen ! Certaines chansons pourraient, il est vrai, apparaître sur un Beggars Banquet ou un Something Else, mais le fait est qu'elles ne sont que celles de We Are The 21st. Tout ce micmac d'influences possède une cohérence absolument magistrale, une intelligence totale, et se considère comme une relecture géniale du début à la fin. Foxygen n'est donc pas une pâle copie des Stones (de toute façon, ils m'ont - attention blasphème - toujours un peu fait chier), car Foxygen est Foxygen.


Et puis merde, même si on sent les influences dans chacune des pistes, comment ne pas en apprécier la flamme incandescente, l'émotion rare ? La mélodie pure et les arrangements brumeux de In The Darkness, le refrain terriblement marquant de Oh Yeah, l'énergie boule-de-feu de We Are The 21st, la morgue tellement rock de No Destruction ("You don't need to be an asshole, ya know", quelle magnificence !), les "I Need It" et "God Will Save You" étourdissants de On Blue Mountain, le flegme / flemme de San Francisco, ou encore ces ronds bouleversants au mellotron au début de Oh No, putain mais (avec quatre ans de retard) ça fait depuis que j'ai découvert Village Green ou Parachute que j'ai pas eu une telle vibration intérieure.


À droite à gauche je lis que ce n'est qu'une resucée de tubes vaguement iconiques des années soixante : alerte au pisse-froid, alerte au gogol. C'est bien de savoir rester critique, mais t'as pas besoin d'être un trouduc, tu sais, on est plus à Brooklyn. La suite de l'œuvre des deux zouaves est sur courant alternatif, toujours portée par les influences de cabaret type Kinks et de rock sexy type Stones, mais avec moins de brio. N'empêche qu'ils écrivent l'histoire actuelle, et des groupes de rock qui peuvent encore le faire, combien y en a-t-il vraiment ?

TituszwPolsce
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le 5 mars 2017

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