Critique sous forme de vidéo disponible ici : https://youtu.be/U4Ef0d8j8Vw
On ne va pas se mentir : un groupe comme Last Train a quelque chose d’assez inespéré dans le paysage hexagonal. Vingt ans, au bas mot, que l’on attendait une formation capable de tenir la dragée haute aux tenanciers de la scène anglo-saxonne, de rivaliser avec les belges qui eux n’ont plus rien à prouver dans le secteur (Ghinzu, dEUS, The Black Box Revelation and so on, autant de grands d’Europe voire du monde). Non pas que les français n’aient rien à dire ni qu’ils n’en aient pas les moyens, seulement… seulement nous manquons à la fois d’enthousiasme en terme de rock et de locomotives capables de générer un tel enthousiasme. Les mulhousiens peuvent-ils à eux seuls supporter un tel statut sur leurs jeunes épaules encore frêles ? Telle est la question, d’autant que leur Weathering, tout réjouissant qu’il soit, n'est pas exempt de reproches.
Mais commençons par les présentations si vous n’avez pas encore visionné la vidéo de Clément aka Méloman consacrée au groupe sur YouTube. Last Train, ce sont quatre jeunes de même pas vingt ans répondant aux doux noms de Jean-Noël (chant et guitare), Julien (guitare), Tim (basse) et Antoine (batterie) et qui, ayant décidé de jouer du rock au collège dès leurs quinzièmes printemps, se sont mis en tête de se professionnaliser depuis une bonne paire d’années, le tout en autarcie via leur propre label Cold Fame Records. AJoutez à cela deux EP remarqués, quelques titres radiodiffusés sur Ouï FM et une kyrielle de concerts délivrés déjà dans plusieurs pays d’Europe, et tout ça sans même avoir sorti le moindre album studio : pas mal.
Rentrons dès à présent dans le vif du sujet (qui fâche). Déjà il faudrait vraiment, vraiment que les rockers de France et de Navarre en finissent avec cette espèce de manie ou de tradition (récente, qui plus est) de se faire appeler par leurs simples prénoms. Merde quoi, Bertrand Cantat, c’est Bertrand Cantat, pas Bertrand ! Imagine-t-on les membres d’Oasis se désigner comme Noel, Liam, Paul, Paulo et Tony ? Soyons sérieux une minute. Notez que la référence à Oasis n’est pas fortuite, tant la voix de Jean-Noël rappelle celle de Liam (Gallagher donc) avec parfois un petit côté Kelly Jones aux entournures (“Golden Songs”, so Stereophonics man!), sans compter que nombre de morceaux de ce Weathering ne dépareilleraient pas, mais alors pas du tout, dans le répertoire des lads britanniques. Mulhouse - Manchester, même combat ? L’affaire est plus compliquée qu'il n'y paraît puisqu’à ce côté brit pop morveux s’ajoute une fibre blues heavy que ne renieraient pas des acteurs comme Black Rebel Motorcycle Club et The Black Box Revelation. Et si le mélange fonctionne, il manque parfois de cohérence.
Puisque qui aime bien châtie bien, poursuivons avec les griefs, histoire que notre sac soit bien vide avant d’attaquer les éloges de ce Weathering. On sent tout de suite à l’écoute du disque que les Last Train ont un sacré pedigree, qu’ils ont bien appris leurs leçons et qu’ils savent parfaitement les réciter… sauf qu’il leur manque un liant. Ce premier album studio a en effet une fâcheuse tendance à partir dans tous les sens. Rien qu’en terme d’entame s’enchaînent un mid-tempo goguenard que ne renieraient pas Peter Heyes et ses sbires (“Dropped By The Doves”), un brûlot blues-rock subhystérique marquant à la culotte les oeuvres du duo wallon Paternoster - Van Djick (“Never Senn The Light”) et un blues à rallonge façon “Since I’ve Been Loving You” de Led Zeppelin sur III, et n'est pas Led Zep qui veut. Avouez qu’en terme d’intention, on a connu plus lisible. Là-dessus, quelle n’est pas notre surprise à l'écoute du joli arpège de guitare de “House On The Moon” qui semble tout droit sorti des élucubrations de… Jonny Greenwood et qui aurait pu finir en bonne place sur un titre de Radiohead ? N’y aurait-il pas là comme une erreur de casting eût égard aux sous-genres de rock jusqu’ici abordés ? Mais repartons sur le premier morceau et écoutons Jean-Noël chanter : eh bien on trouve là tous les tics vocaux de Liam G, absolument tous, au point que c’en est vraiment dérangeant. Non que l’on exècre le cadet des Gallagher, au contraire même, mais l’inspiration apparaît trop voyante. Revenons au titre numéro deux, et là, on a à l’inverse l’impression que Jean-Noël en fait trop : la voix est maîtrisée dans des éraillements éructés avec gourmandise, mais le jeu instrumental n’est sans doute pas à la hauteur d’une telle énergie, un décalage qui pourrait être facilement rectifié avec un bon producteur. Remarque qui vaut également pour l’équilibre des titres, soit à l’intérieur d’eux-mêmes, soit les uns par rapport aux autres. Avec ses 7 minutes et quelques au compteur, “Jane”, malgré ses qualités, plombe l’entame du disque qui pourtant partait sur les chapeaux de roue. Placé ailleurs et/ou amputé de quelques minutes superflues en son sein, l’affaire aurait pu prendre une toute autre tournure. Là encore, avec des acteurs aussi jeunes, un tel problème aurait aisément pu être surmonté avec le regard d’un producteur ayant de la bouteille. D’une façon générale, Weathering pêche par trop de matière : l’album est long (12 titres, 54 minutes et quelques) et aurait gagné à quelques coups de ciseaux : le pont dissonant de “Way Out”, tout intéressant qu’il soit, n’apporte pas grand chose à l’affaire et se fera systématiquement charcuter à l’antenne ; “Fire” se porterait bien mieux sans quelques longueurs impavides entre ses envolées blues surpuissantes ; des exemples comme ça, il y en a des caisses. D’une façon générale, c’est là toute la difficulté de retranscrire sur disque des titres interprétés en live : si certaines digressions passent sans aucun souci sur scène, il en va tout autrement en studio où il faut souvent opérer une analyse circonstanciée plus à froid et réfléchir non plus seulement en terme d’énergie (les “temps forts” entrecoupés de respirations des concerts) mais aussi en terme d'enchaînement, de rythme et d'équilibre global. Enfin, attention à certains emprunts mélodiques un peu trop voyants : “Sunday Morning John” fait beaucoup penser à mix de “Champagne Supernova” et de “Little James” d’Oasis : la chanson paraît bonne, mais sans doute aurait-elle gagné à être un peu plus maturée et digérée.
Mais alors, pourquoi une telle note au regard des griefs exposés ? Parce que, nonobstant ces récriminations, Last Train fait un sans faute sur le reste, à savoir sur l’essentiel. Last Train a le bagage qu’il faut, un chanteur qui envoie du lourd, des instrumentistes qui assurent, de sorte qu’on n’a pas honte de tenter d’emblée des comparaisons avec des groupes internationaux auxquels les mulhousiens peuvent sans problème aspirer à se frotter. Last Train a tout compris à un rock chevillé au corps, infiltré au plus profond de la moelle, joué avec les tripes et recraché avec le cœur. Last Train sait écrire des putain de bonnes chansons (“Between Wounds” qui ne jurerait pas sur Definitely Maybe), et même parfois des tubes (“Way Out”, “Cold Fever”, incontestablement réussis). Last Train a du talent et sait susciter l’émotion (“House On The Moon”), tant dans l’énergie débridée que dans l’épure, voire dans l’enchaînement des deux (“Fire”, “Weathering”). Last Train a surtout accouché d’un premier album solide qui, même bourré de défauts, sait se montrer attachant, entêtant et même enthousiasmant, un album grâce auquel on est prêt à tout pardonner aux mulhousiens. Continuez comme ça les mecs, mais par pitié, entourez-vous bien la prochaine fois, allez chercher un producteur anglais (au pif : James Ford, Owen Morris, Jim Abiss ou Tom Dalgety), réfléchissez en terme de disque et pas uniquement en terme de live, et faites-nous un album véritablement digne de votre talent. Vous en êtes capables, alors feu, et pas de quartier ! Et à très bientôt sur scène.
Publié sur Albumrock.net