White Eagle
7.1
White Eagle

Album de Tangerine Dream (1982)

Les forfanteries électroniques de Doc Savage

Chapitre Deux : Tangerine Dream et White Eagle

Il semblerait que, dans les sphères élitistes et snobinardes, l’on réduise bien trop souvent Tangerine Dream à Phaedra, alors même que cet opus ne présente en réalité qu’un aspect encore embryonnaire de l’étendue de l’œuvre du groupe. En fait, il s’agit peut-être même de l’album le moins consistant de toute la période Virgin du Rêve Mandarin, période allant de Phaedra (1974) à Hyperborea (1983). Mais voilà, comme toute révolution, celle de Phaedra aveugle le penseur avec ses innovations, soit l’échantillonnage et l’utilisation d’un séquenceur, aux dépens de ce qui importe réellement, soit la musique, tout simplement. Huit ans plus tard, en 1982, lorsque paraît White Eagle, Tangerine Dream est en passe de terminer son contrat avec Virgin, laissant derrière lui sept albums studio, trois lives et trois bandes originales de films, parmi lesquels de véritables coups de maître tels que Ricochet (1975), Stratosfear (1976), Force Majeure (1979) ou… eh bien White Eagle.

Là où la première période du groupe (The Pink Years, d’Electronic Meditation (1970) avec Schulze à Atem (1973) ) était marquée par une surabondance des effets planants au détriment du rythme, les années Virgin corrigent peu à peu ce défaut, allant même jusqu’à faire de Tangerine Dream une véritable usine à mélodies, à partir de 1975. C’est en cela que l’appréciation du gang de Froese est totalement à revoir, en tout cas pour ceux qui en auraient une vision trop « Phaedresque ». La faute aux mondains du rock, ceux-ci s’évertuant à conseiller à leur progéniture spirituelle l’écoute exclusive du « fantastique Phaedra », cet amas d’ambiances synthétiques certes novatrices, mais incroyablement indigestes, alors qu’au moins une dizaine d’œuvres du Dream valent bien plus la peine d’être découvertes. Au hasard, White Eagle, sorti en 1982. L’éternel Edgar Froese, âme pensante, synthétiseur et guitariste, y est entouré de Chris Franke et Johannes Schmoelling, deux autres incroyables penseurs synthétiques. Ce douzième album studio (sans compter les BOs de films) est le troisième, après Tangram (1980) et Exit (1981), à profiter de cette collaboration entre trois des esprits électroniques les plus influents et talentueux de l’époque.

De talent, mais surtout de savoir-faire, ce White Eagle en est comblé. La preuve en est avec la pièce maîtresse de l’album, d’une durée d’environ 20 minutes (une habitude pour Tangerine Dream), « Mojave Plan ». D’abord d’une froideur robotique, presque métallique, elle gagne peu à peu en majesté, au détour d’accélérations judicieuses du rythme et de soli synthétiques d’une inestimable et dérangeante beauté, comparable à des cris d’oiseaux en quête de liberté. L’hypnose opérée par le séquenceur est implacable d’efficacité, efficacité telle qu’au bout de deux voire trois écoutes, l’auditeur connaît le morceau par cœur. N’est-ce pas là ce que l’on demande à toute musique électronique ? Pas le temps de se poser la question. Vers la dixième minute, le morceau évolue : le rythme y est plus lent, mais s’accélère par moments. Les textures se veulent moins majestueuses et impressionnantes que lors des dix premières minutes, mais elles en gagnent des vertus de pureté presque virginale. Puis, à l’aube des cinq dernières minutes, le ton devient plus menaçant, le rythme plus soutenu et hypnotique, plus binaire et hostile. Des cordes peu rassurantes viennent terminer l’incroyable épopée et laissent l’auditeur pensif. « Mojave Plan » est à n’en pas douter un très grand morceau de musique électronique. Les trois autres pistes ne sont néanmoins pas à négliger, malgré leur durée moins propice à l’élaboration de telles ambiances. « Midnight In Tula », d’abord, poursuit ce qui avait été entamé lors de la dernière partie du morceau précédent : urgente et alarmante, elle installe un climat de méfiance qui ne sera rompu qu’avec l’arrivée douce de « Convention of the 24 » et ses dix minutes de rêve robotique. Ce morceau, malgré une atmosphère personnelle satisfaisante, manque d’accroche et demeure le moins bon de l’ouvrage. Contrairement à « White Eagle », la dernière piste éponyme, aussi douce que courte (quatre minutes). La conclusion ainsi travaillée est satisfaisante et termine cette fournée de 1982 de la plus belle des manières. Mais s’il fallait sauver un morceau des quatre de White Eagle, ce serait sans hésitation aucune l’épique, le fantasmagorique « Mojave Plan ».

L’aigle blanc n’est probablement pas le meilleur Tangerine Dream, mais il est tout de même bien plus attractif et plaisant à l’écoute que Phaedra. Puissent ces écrits faire oublier Phaedra... D’autant que la formation Froese/Franke/Schmoelling a encore de beaux jours devant elle...
BenoitBayl
8
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le 5 déc. 2013

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Benoit Baylé

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