Alors que l’indie rock cher aux années 80 et 90 est mourant, sinon déjà mort, tant créativement que commercialement, qui écoute encore Deerhunter ? Pire, qui a encore envie d’écouter ce groupe jadis qualifié par son leader de "ambient punk" ? Qui se souvient de ce groupe tellement à part, qui atteignit son sommet artistique en 2007 avec l’album "Microcastle", et gagna même une certaine popularité "globale" avec "Halcyon Digest" en 2010 ? Plus que sa musique – étrange, tour à tour puissamment évocatrice et profondément dérangeante -, c’est malheureusement la silhouette singulière de Bradford Cox, affecté par une maladie génétique, le syndrome de Marfan, qui reste probablement en mémoire…


Bradford Cox, véritable "crucifié vivant", victime qui plus est en 2014 d’un terrible accident de circulation, a toujours proposé avec Deerhunter une vision très ambitieuse de la musique - comme "courant de conscience" -, enrichie par une posture très moderne et très pertinente quant à sa propre identité sexuelle, se définissant alternativement comme "asexué", "gay" ou même "queer" : cette "queeritude", même pas tout-à-fait totalement assumée, déborde régulièrement dans de superbes moments baroques et généreux, contrastant avec les ambitions intellectuelles parfois très exigeantes de la musique de Deerhunter.


L’album précédent du groupe, le beaucoup plus souriant "Fading Frontier", datait déjà de 2015, et Cox y semblait déterminé à voir le bon côté des choses, après avoir été très critique quant à l‘évolution du Rock et de la musique commerciale en particulier : il semblait même y viser la place jadis occupée par un REM, par exemple, voire par un Tom Petty (que rappelle parfois son timbre de voix) !


A l’inverse, avec son titre pré-apocalyptique apparemment emprunté à un livre de Jean Baudrillard, "Why Hasn’t Everything Already Disappeared?", précédé par un beau single en octobre 2018 ("Death in Midsummer") avec un crescendo émotionnel imparable, le nouvel album semble réintroduire paradoxalement mais fermement le chaos – caractéristique des débuts scéniques du groupe – au sein d’une musique pourtant fondamentalement accueillante. L’album s’avère donc un mélange d’étrangeté franchement morbide – le thème de la mort semblant omniprésent cette fois - et d’éternel désir de séduction, à travers des mélodies accrocheuses, des mid-tempo accueillants, et de courtes mais belles envolées lyriques, principalement aux claviers (comme le final de l’irrésistible "No One’s Sleeping"). On remarquera bien sûr que "Element" franchit même la limite de la chanson pop chatoyante et accrocheuse, tandis que "Tarnung", superbe rêverie planante, prouve que "Deerhunter" n’a pas renoncé à ses ambitions « ambient ». L’album se clôt de manière quasi cinématographique avec "Nocturne" et ses délicieuses – pour peu qu’on ne rechigne pas devant un peu d’inconfort - sensations flottantes.


Il n’est pas certain du tout que "Why Hasn’t Everything Already Disappeared?" amène à Deerhunter un nouveau public, mais il rassurera franchement ceux d’entre nous pour qui ce groupe compte encore.


[Critique écrite en 2019]
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EricDebarnot
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le 17 janv. 2019

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Eric BBYoda

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