A-t-on déjà vu autant de pression peser sur les épaules d'un groupe que lorsque les Avalanches, après près de 16 ans de silence radio, annoncent l'arrivée d'un second album ? Pour sûr il existe plein de précédents récents de groupes qu'on attendait fébrilement après des dizaines d'années de hiatus ; immédiatement me viennent à l'esprit le cas des Pixies et de My Bloody Valentine. Mais le cas The Avalanches a sa propre particularité ; contrairement à la plupart des groupes qui se retrouvent dans cette situation, le crew australien n'a pas eu à proprement parler une grosse carrière, laissant un net sentiment de potentiel jamais vraiment exploité à fond. Les Pixies ont sous le bras plusieurs disques considérés comme des classiques et pas loin de 30 ans d'existence, MBV a Loveless certes, mais aussi Isn't Anything et quelques EPs pas mal célébrés. Les surdoués du Plunderphonics eux, si on excepte une série d'EPs un peu passés inaperçus, ils n'ont que Since I Left You. Premier album, triomphe absolu, pendant feel good de Endtroducing, succès massif d'une musique uniquement basée sur des collages de samples, suprêmement catchy et dotée d'une narration redoutable de fluidité. Consécration ultime, trop ultime sans doute car si vous avez bien suivi vous connaissez la suite : 16 ans de silence (quasi) absolu.
Et puis un jour l'annonce de Wildflower. Toutes sortes d'attentes se formulent à leur égard ; un scepticisme de bon aloi envers un groupe qui n'a rien eu à dire pendant plus de quinze ans ; une adoration anticipative de ceux qui sont persuadés que cela fait depuis le jour de la sortie du précédent que ça bosse dans les studios pour livrer une merveille sans nom, ou l'hésitation finalement, pour des gens dont on ne sait pas du tout de quel bois ils se chauffent vraiment puisqu'ils ont fui le terrain de jeu tout de suite après l'avoir conquis.
Voilà, le contexte est posé. Alors que rien ne va plus chez les fans, comment est-ce que les Avalanches gèrent la pression ? Et bah c'est simple. Ils s'en battent les couilles.
Face aux prises de tête de la presse et du public, le groupe a une arme dévastatrice : le FUN. Un premier indice que – tout en se renouvelant – le groupe est resté fidèle à son identité. Avec le recul, le choix du single "Frankie Sinatra" (échappée pastiche électroswing qui avait horrifié tout le monde) était un pied-de-nez complet, absolument pas représentatif de l'album – mais qui s'insère par contre à merveille dans la tracklist. En 2016 les Avalanches sont toujours aussi joueurs, mais cette fois leur terrain de jeu s'est déplacé vers les années 60. Les années psychédéliques pour être exact ; direction le Summer of Love de 1967, du côté des hippies et du flower-power (la pochette ne mentait pas). Dans leur vocabulaire déjà bien fourni, les DJ intègrent désormais les choeurs nasillards de lutins shootés à l'hélium, les mellotrons trainants, les percus bongo-style, les refrains niaiseux harmonisés et un tissage de sample qui tient moins du collage que du kaleidoscope. Un style qui leur convient parfaitement ; les Avalanches ont toujours montré un goût prononcé pour le pastiche et l'euphorie surjouée des cartoons. Quel meilleur choix alors que d'aller farfouiller dans la pop sixties, genre qui a eu vite fait de s'autoparodier tandis que les hippies sombraient docilement dans la stupéfaction béate. Wildflower est donc super fun, traversé en permanence par trois ou quatre mélodies en même temps, ses transitions sont au poil – le sentiment est vivace, comme sur Since I Left You, d'embarquer sur un unique et luxuriant morceau long d'une heure. Malgré ses samples très référencés, datables assez facilement sans devoir user du Carbone14, la musique de Wildflower n'est pas traçable dans le temps. Certes l'esprit hippie s'y retrouve émulé à merveille, mais il n'y a pas que cela, la gestion des beats n'appartient qu'à eux-mêmes et c'est aussi la première fois que le crew fait intervenir des feats de MC. On aurait pu craindre que cela nuise à l'harmonie du collage mais il n'en est rien. Il s'agit d'une année 67 venue d'une toute autre dimension, où le hip-hop aurait déjà été inventé et où l'on aurait pris l'habitude de se trémousser au long de DJ-mix primitifs.
Quand vient le temps de jauger si Wildflower a su tirer son épingle du jeu et combler nos attentes faramineuses, considérons un instant quelques points du cahier des charges :
- Ecouter le disque d'une traite sans que naisse l'envie de jeter un coup d'oeil ninja à la tracklist : ✓
- Appuyer inconsciemment sur le bouton replay (parce que le trio de pistes final c'est la fiesta absolue) : ✓
- Se mettre à danser dans la rue façon comédie musicale dès que le beat arrive : ✓
- Être attiré par des morceaux différents à chaque nouvelle écoute (ce qui le rend peut-être plus homogène encore que SILY, qui culminait avec son "Frontier Psychiatrist" écrasant toute concurrence) : ✓
- Être tellement absorbé par Wildflower qu'on en oublie de réécouter Since I Left You pour faire les comparaisons qui fâchent : ✓
Est-ce suffisant pour affirmer que Wildflower est le pari réussi auquel plus personne ne croyait, qu'il côtoie les mêmes cimes que son illustre grand frère tout en se renouvelant et qu'il fait figure de précédent unique dans son genre ? À vous de voir, moi j'ai déjà mon petit avis sur la question.
Chronique provenant de XSilence