Cet album est aussi morbide, triste et lourd qu’une stèle funéraire

World Coming Down est le quatrième album studio (cinquième si l’on compte le faux live « Origin of Feces ») de Type O Negative et est paru en 1999 chez Roadrunner, chez qui le groupe a toujours signé sauf pour leur dernier opus Dead Again (chez SPV).

Après avoir tourné et écumé toutes les grandes salles de concert du monde durant un peu moins de trois années, le groupe rejoint leur Vinland natal (entendez par là les États-Unis), et plus précisément Brooklyn, foyer de leur créativité, mais aussi de leurs familles. C’est donc de là que le groupe compose, courant 1999, en prenant possession du studio Systems Two et en attendant la fin du monde.

Le titre de l’album World Coming Down est à lui seul évocateur de ce que l’auditeur est susceptible d’entendre. Le titre sonne comme un constat du groupe sur son expérience par-delà le monde. Nous sommes en 1999 et les nombreuses théories millénaristes sont courantes, n’en déplaise à Paco Rabanne. Tout le monde se rappellera que la plus populaire et optimiste de ces théories était le « Bug de l’An 2000 », mais Type O s’en moque, pour le groupe le monde est déjà en train de s’effondrer. N'en déplaise au photographe français Vincent Soyez qui en illustrant la pochette observe depuis le pont de Brooklyn la décadence de la « Grosse Pomme ». Le monde dont il est question, bien que la pochette prouve le contraire, n’est pas le monde « civilisé » dans lequel nous évoluons, mais le monde intérieur – celui de la psyché et des conflits. Le groupe prend donc le parti de raconter, à travers 13 pistes, comment descendre aux enfers le plus rapidement possible.

Tout comme Dante voyageant parmi les morts punis pour leurs péchés, l’auditeur observe Peter Steele (basse) raconter en quatre thèmes ses regrets et ses addictions à la drogue. Bien entendu, il n’est pas le seul membre du groupe à l’époque à en consommer.
L’album peut donc se diviser en quatre parties : après une courte introduction qui serait le préambule, ou plutôt l’antichambre de l’enfer, les trois autres courtes pistes sont intitulées « Sinus », « Liver » et « Lung » et reprennent les trois moyens les plus rapides d’en finir avec la vie par le biais d’une addiction (les drogues « dures » prisées, l’alcool ingurgité et toute chose fumée).
Ces parties, qui se révèlent être des thèmes (non pas musicaux, mais littéraires), reviennent à plusieurs reprises dans l’album de façon désordonnée ; mais qu’importe l’ordre quand tout se détruit et meurt ?

Fi des réflexions philosophiques : l’album s’ouvre, après un cri du cœur (« Sucker !!! »), sur un thème funèbre à l’orgue. « White Slavery » de la même manière que Snowblind de Black Sabbath décrie le déni de l’addiction à la cocaïne. La lourdeur de ce titre laisse présager celle à venir.

Qu’on ne s’y trompe pas, c’est bien la basse ronflante qui ouvre le titre « World Coming Down » et qui accompagnée par la batterie de Kelly résonne comme un son abyssal, jusqu’au refrain où la voix de Steele crie sa vérité : « Yeah I know, that my world is coming down ». Le break de ce titre apparait presque comme une seconde chanson dans la première (spécialité servie par le groupe), notamment avec l’introduction de la cithare, comme l’avaient fait les Beatles sur leurs albums «Revolver» et «Rubber Soul».

Cette même cithare réapparait sur le dernier morceau de World Coming Down (l’album cette fois) : « Day Tripper (medley) ». Les fans n’ignorent pas que les Beatles sont une influence majeure de T.O.N. et auront (peut-être) reconnu dans ce medley les titres suivants : « Day Tripper », « If I Needed Someone » et « I Want You (She’s So Heavy) ». Encore une fois le choix n’est pas anodin, les textes des Beatles font référence de façon implicite à l’addiction : dans l’ordre LSD, solitude et obsession [sexuelle].

L’obsession sexuelle est celle de John Lennon sur « I Want You », mais celle de Peter Steele est la mort sur « Everything Dies ». Ce titre est surement l’un des meilleurs de l’album puisqu’il évolue de façon certaine vers la mort. En effet, le décomposant : si le riff de la guitare est extrêmement puissant sur l’introduction, c’est qu’il symbolise l’attaque de la mort. Les couplets sont au contraire très calmes et la voix de Steele résonne comme une prière dont le clavier de Silver alourdit l’ambiance. L’aspect cérémonial ne s’arrête pas là puisque le refrain est construit comme une psalmodie. C’est finalement après un abrupt retour au lourd riff qu’évangélisent les chœurs au clavier qu’a lieu la mise en bière du titre, mais celle-ci – comme la mort– survient toujours au moment où l’on s'y attend le moins, et le coupe avant sa fin.

En rembobinant l'album d'une chanson, on tombe sur « Creepy Green Light » qui lui-même rembobiné permet d'entendre au début du morceau Peter réciter la prière « Now I lay me down to sleep, I pray the Lord my soul to keep. » Un déjà-vu ? Oui, les Beatles.
« Creepy Green Light », à l’endroit cette fois, est également un excellent titre où les claviers ont encore une fois la belle part avec une sorte de mélange plutôt étrange entre orgue (magistral au break) et clavecin vraiment baroque.

Les rôles sont parfois inversés au sein de Type O et c’est en écoutant « Who Will Save The Sane ? » que cela est le plus flagrant : claviers et guitare se confondent puisque la basse remplit d’un son lourd et distordu l’office de la guitare.
Cette basse distordue est le centre du groupe autour duquel gravitent les autres instruments, ce qui n’empêche pas les musiciens de les utiliser avec brio.

La guitare, qui est finalement le liant entre la basse et les claviers, cherche à s’accorder à la puissante batterie de Johnny Kelly, tout comme Josh Silver accorde ses claviers sur la voix de Peter Steele (lui-même baryton-basse). Il faut noter au niveau du chant (rien à dire sur l'inimitable voix du géant vert) que Kenny Hickey chante quasiment intégralement sur « All Hallow’s Eve ».
En définitive, les choses graves et lourdes s’accordent avec des percussions harmoniques ou rythmiques, et c’est cela même qui définit Type O Negative comme figure de proue du Doom gothique. Le jeu des New Yorkais est si poignant et que l’on se sent vibrer de plaisir à l’écoute d’un « Everyone Is Dead », ce qui en soi est un total non-sens. Encore une blague du groupe ?

Si l’humour n’est pas présent dans les textes (à tourner et retourner dans tous les sens, au propre comme au figuré, pour pouvoir les lire), il n’en est pas moins présent dans les crédits. Ainsi on apprend que la préprogrammation de l’album a été réalisée par Steele, puis déprogrammée par le guitariste Hickey pour être reprogrammée par Josh Silver, que comme d’habitude The Bensonhoist Lesbian Choir est aux backing vocals et que les titres ont été « décomposés » et « déformés » par Peter Steele et Josh Silver. Tout ceci sans compter les absurdes et hilarants remerciements.

Cet album est aussi morbide, triste et lourd qu’une stèle funéraire, mais c’est ce qui en fait un chef-d’œuvre. Un chef-d’œuvre parce qu’il est l’effort le plus abouti et le plus personnel du groupe. L’espoir n’a pas souvent la belle part avec Type O Negative et c’est avec l’ironie et l’humour noir qu’il est souvent remplacé, mais il n’y en a pas non plus dans cet album-là.
La mort est donc l’unique centre de l’album et elle n’a jamais eu d’harmonie aussi belle.

louislelion
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le 19 juin 2023

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