Ce jeu est avant tout un jeu de passionnés pour les passionnés du genre et de la licence.

Sur le papier Streets of Rage 4 pourrait être une initiative qui d’habitude m’agace au plus haut point : faire une suite/reboot d’un objet culturel (particulièrement des années 1980/1990) qui n’en a pas nécessairement besoin. Le retro et la nostalgie faisant vendre, si l'on doit alors s'imaginer revenir une nouvelle fois aux dernières heures des salles d'arcade et aux consoles de salon 16Bits, pourquoi ne pas le faire avec la licence "SoR" ?


Depuis 1994 l’attente d'une suite est presque palpable : les fans nostalgiques se sont procurés les rééditions vinyl des bandes sons (le 1er, le 2ème et le 3ème), ont acheté en ligne les versions des trois premiers opus sur les différentes plateformes next gen (les plus assidus ont même commandé la Mega Drive Mini pour pouvoir re-re-jouer au 2), ont joué à l’excellent Streets of Rage Remake (dit « SoRRv5 »), ont lu les comics, se sont déplacés à la Gaîté Lyrique pour aller voir Yuzo Koshiro et Motohiro Kawashima interpréter en live les titres cultes des bandes sons… L'appétence, l'envie et les attentes sont grandes et tous les moyens sont bons pour continuer à écumer les rues de « la ville » et se battre avec les ex-flics Blaze, Adam ou Axel, ainsi que leurs amis, pour éradiquer le Syndicat de Mr.X.


Car Streets of Rage c’était avant tout cela : une affaire de coups de poings et de coups de pieds, d’ambiance crade et d’environnements variés que les musiques de Yuzo Koshiro et de Motohiro Kawashima sublimaient, entrainant les joueurs au rythme de la basse et des combinaisons A, B, C.
Les Beat Them All (ou Beat Them Up) de l’époque, comme Double Dragon, Golden Axe ou celui que l'on présente comme étant le concurrent direct des SoR, Final Fight, ont au fil des années créé des univers de plus en plus fouillés, espérant ainsi palier le caractère intrinsèquement répétitif de ces jeux. Final Fight, tout comme SoR premier du nom, ont initialement fait appel à l’imagerie du film The Warriors de Walter Hill (1979) mais j’y vois également des liens de forme avec Assault on Precinct 13 (1976), et d'autres road-trips urbains (de préférence nocturnes) : Escape from New York (1981), Streets of Fire (également de Walter Hill, 1984), After Hours (1985). Le genre du BTA urbain peut également se revendiquer de ces influences mais également de manière plus ou moins anachronique de Falling Down (1993), The Crow (1989/1994), Die Hard (le premier pour son unité de temps [1988] et surtout le troisième [1995]) et Collateral (2004).


Je ne suis pas un grand joueur de jeu vidéo, ni même un fan des critiques « à chaud », pourtant pour une fois je cède à la tentation et entre à nouveau dans les rues de la ville pour abattre le Syndicat.


Character Select
Plus de 25 ans se sont aujourd’hui écoulés entre Streets of Rage 3 et son successeur ; sauver à nouveau la ville n’est donc plus un simple souvenir mais bien une réalité. Malgré quelques tentatives avortées quant à la réalisation d’un quatrième opus, c’est en août 2018 que sont apparus les premiers chara designs d’Axel et Blaze, promettant un retour en force moderne.
Sega n’est néanmoins pas derrière le projet mais Cyrille Imbert du studio DotEmu, soutenu par Lizardcube (qui avait déjà réalisé le remake de Wonder Boy III) et Guard Crush Games (qui avait déjà produit le semi parodique Streets of Fury) et la bande son est signée Olivier Derivière (mais aussi Harumi Fujita, Scattle, Das Mörtal, XL Middleton et Groundislava).
De quoi effrayer les fans qui ont vu l’arrivée des français sur cette licence, qui a survécu grâce à la nostalgie qu’elle suscite, sinon un affront, au moins un pari risqué. L’annonce du retour de Koshiro et Kawashima à la composition de certains titres sonne alors comme une caution et le gage d’en avoir l’ADN, de rester « dans la tradition », ce qui a largement été mis en avant lors de la promotion du jeu (A, B).


Dans le jeu, 10 ans se sont écoulés et Mr.X est de retour… en quelque sorte.
Bel et bien mort, le grand méchant des deux (trois ?) premiers jeux a légué son entreprise et sa vilaine à ses enfants, les jumeaux Mr.Y et Ms.Y, à présent à tête du Syndicat, gangrenant une fois de plus la ville – qui porte le doux nom de Wood Oak City (?). À chaque génération ses problèmes.
Encore une fois donc, dans une ville sur le point d’exploser (ou en train de), à la criminalité débordante, à la police corrompue, les anciens flics décident à nouveau de « tous les battre » « à poings nus ».


Vivant de sacs de frappe et d’eau fraiche, Axel Stone (qui s’est laissé pousser la barbe, délaissant visiblement les arts martiaux pour la salle de muscu’, tout un symbole) et Blaze Fielding (qui beaucoup plus sérieuse porte à présent une veste en cuir et est chorégraphe) sont aidés de Cherry Hunter, la fille d’Adam (et la digne héritière du style de son oncle, Sammy « Skate » Hunter) et de Floyd Iraia, disciple du Docteur Victor Zan (mais qui tient plus de Max Thunder que du cyborg), pour botter des culs et faire tomber une nouvelle fois le Syndicat.


Go Straight
Passés la cinématique et les illustrations qui dévoilent l’intrigue, le premier niveau se lance : une ruelle sale, des ennemis qui surgissent par dizaines, ne demandant qu’à -se faire laminer- en découdre et un thème entrainant, toujours inspiré par l'Euro Dance et le New Jack Swing ; on y est !


Nostalgie mise à part, la direction artistique est vraiment très soignée, que ce soit avec les décors, les lumières, malgré le choix un peu étrange d’avoir un rendu proche du toon shading, appuyant donc fortement les contours des personnages et des objets.
En se basant sur les sprites des trois premiers jeux, dont certains possèdent des cernes visibles, le directeur artistique Ben Fiquet et l'illustrateur Julian Nguyen-You les ont rapproché de l'animation japonaise. Leurs croquis révèlent ainsi une nette volonté d’avoir un aspect plus cartoon/manga pour les différents personnages (pour ma part j'y vois surtout le style de la Toei Animation), cohérent donc mais pas forcément au goût de tous. Le côté « hip and cool » de certains nouveaux ennemis est aussi bienvenu qu’il peut parfois s’avérer grotesque. Néanmoins l’ensemble, des menus aux illustrations et aux animations des personnages, rend très bien à l’écran, passés les quelques instants pour oublier que SoR n’est plus un jeu 16Bits.


Les environnements des 12 niveaux (contrairement à 8 pour les trois premiers jeux) sont extrêmement variés et donnent envie de les refaire pour apercevoir quelque(s) détail(s) ou référence(s) cachée(s), voir même y perdre du temps pour profiter des ambiances et des musiques.
Les ennemis, pas aussi variés que ce que les premières images du jeu laissaient penser (les Dylan et autres Kevins avec leurs coups de pieds traitres sont les nouveautés les plus courantes), reprennent les designs des jeux précédents, mais après tout un Galsia reste un Galsia et un Donovan reste un Donovan – le mal ne vieilli pas à Wood Oak City. Même le décor s’en prend parfois à nos héros, les forçant à tomber dans des trous, à éviter des câbles électriques et des produits toxiques et à ne pas frapper dans des bidons explosifs.
Les animations et sprites s’enchainent parfaitement (à voir notamment celles des B.T. quand ils croulent sous les coups), donnant l’impression d’avoir en main un film d’animation dont le joueur est le metteur en scène.


Les coups sont aussi simples qu’A, B, C : sauter, frapper et attraper des objets (armes, argent ou nourriture) [le jeu proposant même de jouer avec 3 boutons "comme à l'époque", mais également d'appliquer divers filtres pixelisés, de mettre les musiques des premiers jeux et d'en débloquer les personnages. Néanmoins, si vous appliquez toutes ces options, vous devriez plus simplement jouer aux précédents]. À cela s’ajoutent les coups spéciaux, qui comme le veut la tradition, font perdre de la vie.
L’appel à la police est en revanche absent (ça fait bien trop longtemps qu’elle est au service du Syndicat et que les héros ont rendu leur badge, enfin…) mais c’est toujours à l’aide des étoiles qu’il est possible de déclencher une sorte « super-pouvoir » – différent pour chaque personnage – et ainsi frapper tous les ennemis dans la zone.


Malgré la linéarité des niveaux (de gauche à droite en deux tableaux et un boss, avec la variante de défilement vertical), le plaisir est là et les combos s’enchainent, parfois de justesse, juste avant qu’un ennemi ne marque une « interruption » en vous frappant.
Enfin, en mode histoire, un système de sauvegarde automatique à chaque nouveau niveau a été mis en place, permettant d’avoir 3 sauvegardes simultanées.
À cela s’ajoutent quelques surprises, scénaristiques ou non, bonus et clins d’œil qu’il faut découvrir en jouant au jeu.


Attack of the Barbarian
Le scénario s’avère être inutilement alambiqué, mais de toute façon on n’a jamais jugé les Streets of Rage sur la qualité de ceux-ci.


Petite déception quant aux "cinématiques" entre les niveaux, que l'on pouvait penser animées, mais qui sont (comme dans les jeux originaux certes) des illustrations presque fixes, à la manière de cases de BD ou de manga, probablement encore un clin d’œil à l'édition "Ultimate Director's Cut" de The Warriors ou aux inspirations des illustrateurs et designers. Il s'agit surement là d'une question de budget plus qu'autre chose, ce qui est donc pleinement excusable.


Le véritable point faible du jeu est la lourdeur de ses personnages qui se déplacent très lentement (même Cherry) et dont le rythme et la portée d’attaque restent assez faibles. C’est particulièrement pénible face à des boss rapides qui ont réponse à tout.


A contrario, les ennemis semblent bien plus nerveux et savoir d’emblée comment profiter des frames d’extrême vulnérabilité pour frapper les personnages et même les balancer de l’autre côté de l’écran (qu’il faut donc péniblement traverser à nouveau), certains de leurs coups paraissent même imparables ayant la priorité sur ceux des héros (globalement tout ce qui relève du jeu aérien). D’autres ennemis ont l'air de maîtriser parfaitement la notion de hit box, à tel point que celle des héros passe pour être bien plus importante que celle de leurs opposants. Il a parfois des problèmes d'alignement (un ennemi qui n'est pas sur la même ligne parvient quand même à frapper, ce qui n'est pas le cas des héros). Palier tout ceci repose sur une technique dont je n’ai pas encore le secret (ou le patch ?).


Les rares esquives possibles et coups à contre-temps étant assez difficiles à réaliser (à moins de sacrifier un peu de vie pour assener un coup spécial) c’est donc avec une certaine frustration que la vie descend à vitesse grand V (certains coups étant injustement très gourmands) et que le game over arrive bien trop vite (cela dit il y a un système de continue).
Même en mode normal, Streets of Rage 4 est exigeant, pour ne pas dire difficile pour un casu comme moi (et il existe 5 niveaux de difficulté… glurp), et pour obtenir un rang S ou A à la fin d'un niveau, il tend alors plus vers le « die and retry » que vers le « go straight » et la violence gratuite.
Enfin quelques rares bugs arrivent de temps en temps (un ennemi qui marche dans le ciel par exemple) mais rien qui n'entrave la progression.


En attendant donc d’avoir un patch qui règle sinon les problèmes de contre/attaque d’opportunité, au moins celui du déplacement pachydermique (mais qui peut être un choix tout à fait conscient des développeurs), c’est avec une forme de plaisir non dissimulé que l’on progresse niveau après niveau à la recherche des jumeaux Y.


Néanmoins, il manque l’ingrédient essentiel aux SoR : une forme de noirceur et de drame que seuls les premiers jeux savaient rendre : ils se déroulaient du coucher du soleil au levé du matin suivant, renforçant l’impression de triompher de l’obscurité comme nos flics renégats triomphaient du mal. Le sentiment d’accomplissement n’en était que plus grand et l’arrivée du soleil d’autant plus salutaire. Ce n’est pas le cas avec Streets of Rage 4 qui alterne entre niveaux clairs (ou bien éclairés) et niveaux sombres. Il manque donc ce goût sale, moite et poisseux, si particulier aux rues de la rage et aux nuits de violence des trois premiers épisodes, pourtant ce que le jeu gagne en apparente simplicité et gentillesse visuelle, il le perd une fois la manette en main.


Stage Clear
Ce jeu est en définitive avant tout un jeu fait avec soin et amour par des passionnés pour les passionnés du genre et de la licence, cela se sent de la première note au dernier pixel en passant par le design dans sa globalité, les musiques (avec quelques thèmes musicaux mémorables), le gameplay et surtout le gamefeel. Il semble ainsi exceller dans les 3 piliers des BTA. Il y a cependant quelques faux pas conceptuels largement pardonnables (manque d’unité de temps, certains designs) et d’autres techniques qui le sont un peu moins, mais on entre dans la danse aussi facilement et aisément que Blaze dans sa vieille tenue rouge, et avec le sourire s’il vous plait.
Si vous n’êtes pas du genre nostalgique où que vous n’avez jamais joué aux jeux précédents, le prix modeste de Streets of Rage 4 devrait quand même vous permettre de passer un bon moment en solo ou en co-op.


[Pourquoi 7 et non pas 8, 9 ou 10 ? La note, arbitraire, tend en vérité plus vers 7,5. Certes au bout de 6 heures de jeu (et après l'avoir fini deux fois - le fait que le jeu ne soit pas très long n'étant pas un critère particulier), le simple plaisir de revenir dans certains niveaux et profiter de la parallaxe, des jeux de lumière et de réflexion est suffisant... Je l'ai déjà dis plus haut mais les efforts animation et d'ambiance sont vraiment excellents. Je ne pense pas avoir tout découvert mais j'ai pu essayer les différents modes de jeu (choix du niveau, arcade, combat de boss, duel...). Là encore, c'est le côté très (trop) exigeant qui me freine (les cancels d'attaque par les boss et certains mobs par exemple, qui ne prennent simplement pas les coups), n'ayant pas forcement le temps et l'envie d'apprendre des patterns par cœur ou de calculer le frame rate et le temps de recovery. L'IA est simplement trop intelligente pour moi. Il en faut pour tous certes, mais j'ai vraiment l'impression que la difficulté et la courbe de progression ont été nivelées depuis le haut, difficulté par difficulté, donnant ainsi l'impression que celle-ci n'évolue que faiblement tout au long du jeu (pour chaque niveau de difficulté donc) mais en commençant sur les chapeaux de roues. Malgré la performance que je salue, j'en conclue que SoR4 s'adresse donc avant tout à des joueurs plus doués ou plus assidus que moi.]

louislelion
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le 1 mai 2020

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