October Rust
7.8
October Rust

Album de Type O Negative (1996)

Cet album est le fragment intemporel d'un instant qui ne l'est pas.

Après l’énorme succès de Bloody Kisses sorti en 1993, il était difficile que penser que Type O Negative puisse faire mieux, tant la barre avait été placée haute. Le groupe, après une tournée mondiale qui s’est déroulée sur près de deux ans, décide de rentrer en studio à la fin de l’automne 1995.

Mais cet automne est aussi celui du groupe, non pas qu’il soit sur le déclin, mais c’est bien le fameux cap du « troisième album » qui est en jeu : l’automne de la maturité. Le groupe peut-il enregistrer quelque chose de plus sombre et sauvage que le précédent opus ? Peut-il refléter une nouvelle facette du groupe ou bien confirmer l’ancienne ?

Deux fois ne sont pas coutumes, et c’est pour la troisième fois que le groupe retourne aux studios System Two pour enregistrer les 15 titres de l’album. L’album labelé par RoadRunner sort le 20 août 1996, alors que le groupe est en Europe pour deux dates (Donnington (U.K.) 17 août et Flevopolper (Pays-Bas) 24 août). Sortir un album comme October Rust en août semble un peu étrange, mais nous reviendrons dessus.

L’album s’ouvre sur une blague. Mais à quoi ressemble une blague racontée par Type O Negative ?
À rien en vérité, ce qui devait être le titre « Bad Ground » c’est transformé en 40 secondes de silence. Tous ceux qui ont à l’époque rapporté leur disque chez le vendeur réclamant un remboursement se sont bien fait avoir. Le groupe explique à la piste suivante qu’il s’agit d’une blague (Peter) et qu’ils se sont « défoncés » pour réaliser l’album (Josh : « Yeah, we spent a couple of months getting, uh, high working on it. »).

Le voyage de décomposition (ce qui est assez normal pour un album « rouillé ») de Peter Steel commence donc à la troisième piste avec le désormais culte : « Love You to Death ».
Tout est mis en place dans l’introduction mélancolique de ce titre, les premières notes de piano évoquent la mélancolie, sous un fond de vent synthétisé : nous sommes en août 1996 mais Type O Negative prend le parti de nous faire voyager jusqu’à Niflheim, il va faire froid pendant plus d’une heure.
L’entrée de la guitare, de la basse et de la batterie dans ce morceau confirment les premières impressions : une certaine tristesse, que les frimas n’arrivent pas à gercer, est bien présente.
« Love You to Death » est un titre étrangement calme, le groupe aurait-il viré sa cuti d’amateurs de hardcore cyniques par celle de mous du genou affligés ? Les critiques et les fans de l’époque penchent pour la seconde solution : T.O.N. a vendu son âme au diable de la célébrité et propose un album plus pop.

Certes, si l’album a élargi le public de Type O, il correspond en vérité plus à un état d’esprit qu’ils avaient à l’époque qu’à une réelle volonté de vouloir convertir le public à la doctrine de la République Technocratique du Vinnland (dont le drapeau apparait pour la première fois au dos de l’album). Ainsi les titres tiennent plutôt du mid-tempo et sont résolument plus calmes, la voix de Peter Steele résonne alors comme un celle d’un sombre crooner dont l’une des perles est « Red Water (Christmas Mourning) ». Ce titre est certainement le plus triste de l’album. Sur des pas enneigés, la mélodie nous mène haut, très haut, jamais Type O Negative n’avait été aussi sombre et aussi calme. Alors que l’auditeur est en plein vol, quelque chose vient le percuter et le cloue au sol par son réalisme et sa noirceur : « My Girlfriend’s Girlfriend » est la pop-song aux accents 60’s de l’album, mais possède une ambiance sombre et drôle, jusqu’à en évoquer l’univers décalé de Tim Burton.

Ces deux titres semblent aussi bien marcher ensemble que « In Praise of Bacchus » et « Cinnamon Girl ». Il faut noter que « Cinnamon Girl » est le seul morceau non composé par Peter Steele, puisqu’il s’agit d’une reprise de Neil Young (extrait de l’album Everybody Knows This Is Nowhere, 1969). Encore une fois donc l’accent est mis sur le côté pop 60’s / sombre. En revenant en arrière, l’une des plus grosses surprises de l’album est « In Praise of Bacchus », titre évoqué un peu plus haut.
Ce titre, tout comme « Red Water (Christmas Mourning) », est surement l’un des plus calmes de l’album, mais est paradoxalement l’un des plus noirs et reflète le mieux ce qu’est le Doom torturé de Type O Negative. L’entêtante phrase « She hates me » résonne encore comme une évidence inébranlable après l’écoute de l’album.

Parmi les phrases cultes de cet album, la plus marquante se trouve certainement au début, dans « Be My Druidess » plus précisément. Ce morceau, avec le suivant (« Green Man »), est certainement le moins « hivernal » des morceaux et reflète plus une certaine lumière comme il est possible d’en trouver dans les forêts en automne : une lumière forte et mourante. Tout ceci pour dire donc que la fameuse phrase qui apparait comme une psalmodie sur « Be My Druidess » est l’effroyable : « I’ll do anything to make you cum ». Cette phrase est à la fois effrayante, mais étrangement belle : Peter Steele est prêt à s’adonner aux pires bassesses de l’homme pour faire jouir sa druidesse. Cette preuve d’amour, entre violence et sensualité à l’image de la musique, réapparait à plusieurs reprises dans l’album (« Love You to Death », « Die With Me » …).

L’album se construit comme un conte romantique et violent digne de Charles Pérault, des frères Grimm ou d’Egard Allan Poe. L’homme n’arrive plus à satisfaire sa conquête et essaye par tous les moyens de la récupérer, mais l’issue semble inévitable : ce n’est pas tant que la maîtresse est partie, mais c‘est que l’homme c’est changé en monstre.

Ainsi « Die With Me » est le tournant de l’album et se comprend alors comme un regret dont les parties en acoustique l’ancrent peu à peu dans le souvenir. Au contraire « Burnt Flowers Fallen », l’un des morceaux les plus énervés de l’album est un déchirement bien présent dont la douleur se ressent à chaque mesure.
Le dernier acte de l’album scelle bel et bien l’histoire du narrateur ne pouvant supporter que sa bien-aimée le hante (« Haunted »).

Si cet album a contribué à faire de Type O Negative un groupe connu d'un public plus large sous ces aspects plus mid-tempo, est en vérité beaucoup plus complexe qu’il n’y parait. Il s’agit de la romance d’un homme que le changement effraye autant que la mort. Le groupe signe ici un album romantique et ne se prive pas de raconter sa plus belle fable. La « rouille d’octobre » montre le groupe à un moment donné entre ce qui était, ce qui est et ce qui sera. Comme une feuille sous le vent de l'automne, cet album est un fragment intemporel d'un instant qui ne l'est pas.

louislelion
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le 20 juin 2023

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