Vanishing Point était une sacrée réussite tout en étant très intriguant. Primal Scream semblait se laisser aller dans des vapeurs électro-psychédéliques nocturnes tout en préservant un peu de place au rock & roll. Ce qui semble logique tant ce groupe s’est régulièrement bien imprégné des sonorités de son époque pour les remanier à leur sauce. En pleine période trip hop, l’introspection était de mise… Trois ans plus tard, il est de nouveau temps de rebrancher les guitares et de dépoussiérer les ordinateurs.
Sauf que cette fois-ci, ils sont prêts à tout faire péter avec ce nouveau jet dont l’éloquence du titre (XTRMNTR signifiant Exterminator sans les voyelles) résume parfaitement leur état d’esprit du moment.
Pour rendre la musique électronique puissante et rock, la formation va lui injecter une bonne dose de punk (comme Prodigy) et de politique. A l’image du controversé « Swastika Eyes » comparant le gouvernement Américain au terrorisme… Deux ans avant le 11 septembre 2001. Cependant pour en arriver là, il faut tout détruire pour reconstruire. Derrière son intitulé provocateur, « Kill All Hippies » est bien une marche vers l’avant. Cette bande n’incarne plus des drogués perdus dans les raves party du siècle précédent. Plutôt des illuminés ayant décidé de nous faire bouger sur une musique frontale à l’instar de ce qu’a toujours fait Killing Joke.
Le groove hypnotique que l’on doit à Gary Mounfield (dont les géniales lignes de basses se déroulent naturellement entre les beats techno) entame en douceur une sortie qui va vite se perdre dans une folie furieuse dès le monstrueux « Accelerator ». Instant de bravoure noise rock auquel se succède un incroyable hommage à Suicide (« Exterminator »), un hymne défoulant au possible (« Swastika Eyes ») et un hip hop (« Pills ») improvisé par Bobby Gillespie. On ne peut pas dire qu’il soit un bon rappeur mais sa prestation, la bave aux lèvres, (il faut l’entendre cracher ces « Fuck ! Sick ! » à répétition) ne laisse pas indifférent.
Si la troupe a les nerfs, elle a l’intelligence de ne pas se diriger vers la facilité en lassant ses auditeurs. L'album est varié et s’impose quelques pauses bienvenues en compagnie de la magnifique « Keep Your Dreams ». Une chanson à faire pleurer les morts puisqu’interprétée à la perfection par Bobby et arrangée avec beaucoup de soin. « Blood Money » se permet également d’être un jam jazz rock/krautrock tout en étant la bande sonore appropriée d’une course poursuite d’hélicoptères slalomant entre d’immenses tours de verre.
Au milieu de ce pilonnage électro-indus (« Insect Royalty ») et sa conclusion assourdissante (« Shoot Speed / Kill Light » et son riff final inoubliable), on ne sait plus où donner de la tête tant on est submergé par des morceaux de choix. La seule petite baisse de régime étant finalement le remix « Swastika Eyes » des Chemical Brothers. Efficace mais convenu en comparaison du reste. Ce n’est néanmoins pas du tout cas de l’autre remix : « MBV Arkestra (If They Move Kill 'Em) ». Reprise d’un des sommets de Vanishing Point et qui est retravaillé par Kevin Shields de My Bloody Valentine.
Ce dernier avait beau avoir laissé tomber son groupe dans le mutisme, il était toutefois occasionnellement actif chez d’autres. Ici, il confectionne l’un des plus grands remix de tous les temps. Au point qu’il surpasse peut-être l’original avec ces rythmiques au groove carré et son atmosphère cybernétique menaçante s’en allant vers une conclusion inéluctablement bruyante (à ne pas écouter trop fort au risque de faire exploser vos enceintes !).
Avec les années, XTRMNTR a acquis une symbolique particulièrement importante et pas seulement parce qu’il s’agit de l’œuvre la plus brutale des Écossais. Elle clôture une ère et en annonce une autre.
Premièrement, il tourne la page des années 1990. Que ce soit en donnant le coup de grâce au big beat, ce sous genre électronique ayant balancé quelques têtes nucléaires dans les charts avec une musique bien violente pour quelque chose censée être de la dance. Mais surtout en détruisant la techno au sens large en imposant un son parfait, chromé et surtout de plus en plus déshumanisé qui fera école. Le style ne s’en relèvera que partiellement, car s’embranchant dans une voie expérimentale à la manière d’Autechre ou en se faisant engloutir par l’électro house. D'ailleurs, on constate encore les répercutions de ce style de production puisque désormais banalisé dans le mainstream actuel.
Enfin deuxièmement, ce disque n’est pas seulement l’un des derniers que Creation sortira. Le plus grand label de la musique indépendante en Angleterre pour rappel (la richesse de son catalogue n’est plus à démontrer). C’est aussi un gigantesque (et ultime) coup de boule de la part d’une décennie condamnée à disparaître. Les années 2000 seront bien différentes car sans mouvement majeur comme ont pu l’être le grunge ou le hip hop. Notamment à cause de la popularisation d’Internet qui va diviser le public au point qu’il ne se réunira plus autour d’événements musicaux, à l’exception des plus académiques. Même l’indie rock n’échappera pas à ça en s’enfonçant dans un classicisme, mou de plus, étouffant sous prétexte d’authenticité.
Ci-gît une certaine idée du rock alternatif. Tout comme Radiohead, Primal Scream a été un de ses principaux fossoyeurs. XTRMNTR fut un enterrement de première classe sous la forme d'une gerbe d'explosions d'acier et de verre dont on ressent toujours le souffle aujourd'hui.
Chronique consultable sur Forces Parallèles.