Yankee Hotel Foxtrot par benton
Wilco fait partie des groupes qui ont le mérite, et surtout le talent, de réinventer la country, ou en tout cas d'intégrer les influences de la country dans une musique pop moderne. Je craignais un peu avant d'écouter Yankee Hotel Foxtrot de me retrouver devant un énième disque de country alternative ou d'americana, ne volant guère plus haut qu'un Bonnie Prince Billy ou un Neko Case. Mais dès le premier titre, I Am Trying To Break Your Heart, j'ai compris que la musique de Wilco possédait quelque chose de différent, d'unique, un décalage intéressant, malgré le classicisme dégagé par l'ensemble.
Et effectivement, si le groupe joue une musique calme, dans la grande tradition folk qui pourrait éventuellement sentir la poussière dans ses élans classiques à coups de guitares acoustiques, de mélodies délicates chantées de manière légèrement blasée, il propose une vision tout à fait unique du genre, une vision qui lui est propre et qui lui confère naturellement une personnalité étonnante, tout en restant humble et modeste. Les chansons ont toutes les apparences de la simplicité, et en vérité, elles le sont, simples, mais elles sont truffées de détails et d'arrangements surprenants qui leur offrent un supplément d'âme à travers l'originalité qu'ils expriment.
L'utilisation qui est faite, par exemple, des percussions sur certains titres est proprement géniale et apporte justement ce décalage qui rend la musique de Wilco à la fois ludique, lumineuse et touchante, l'innocence et la fraîcheur des sons trouvant écho avec la mélancolie la plus pure. Parfois le disque prend des airs de musique expérimentale, mais sans jamais se départir de son accessibilité et de la qualité des mélodies. En fait le groupe manie idéalement le traitement sonore pour alimenter ses propres compositions et en faire autre chose, pour les élever dans une autre sphère.
I Am Trying To Break Your Heart est la démonstration la plus éloquente de la manière dont le groupe se joue de tout, avec la mélodie légèrement entraînante et la dissonance des percussions qui transforme la chanson de simple routine folk bien ficelée en comptine étrange et obsédante. Le groupe refait des miracles sur le fantastique Radio Cure où, cette fois-ci, c'est le calme traînant du morceau, presque au bord de l'apoplexie, qui est transcendé par le refrain final qui s'envole très haut tout en exprimant une sorte de désolement introspectif émouvant au possible.
Le chanteur et leader du groupe, Jeff Tweady, possède une voix touchante, elle communique des impressions et des sentiments contrastés avec trois fois rien, sans presque avoir l'air concerné. Elle fait à nouveau des merveilles sur les deux titres finaux, en forme d'apothéose, Poor Places et Reservations qui se termine en plage évanescente, pour mieux canaliser les aspirations du groupe, entre beauté pure, expérimentation, et évidence.
Yankee Hotel Foxtrot est un album unique en son genre. C'est le premier disque de Wilco que j'écoute et les quelques chansons que j'ai mentionnées m'ont convaincu du génie particulier de ce groupe. Maintenant, c'est sûr que tout n'est pas parfait, certains morceaux paraissent plus faciles, notamment ceux où le groupe fait dans le rock plus basique, à l'image de Kamera, War On War et Heavy Metal Drummer, même si l'efficacité reste malgré tout au rendez-vous (I'm The Man Who Loves You est un titre plutôt fun et groovant à vrai dire). Disons que l'entrain classique, voire téléphoné, de ces titres a parfois tendance à trancher trop nettement avec la mélancolie étrange et désabusée des meilleures chansons du disque, registre dans lequel Wilco brille, s'exprime le mieux et s'affirme être un groupe pas comme les autres.