Cauchemars du promeneur solitaire
Ah, Stroboscopic Artefacts... Créé par Lucy, ce label a toujours réussi à pratiquer une techno d'une puissance insoutenable, notamment au travers d'une série d'EPs baptisée "Monad", réunissant une vaste clique de bourreaux des kicks et des crânes, entre Rrose, Xhin, et Dadub, un duo qui nous intéresse aujourd'hui, car ayant produit un des trop rares LP de l'écurie.
Et quel LP ! On savait que les deux italiens se faisaient une certaine idée de la techno, mais ce long format se révèle être absolument cauchemardesque. Pourtant, contrairement à nombre de galettes qui visent avant tout à vous claquer la tête sur le bitume à coups de beats plus cataclysmiques les uns que les autres, on débouche ici sur un vaste espace magnifiquement texturé, usant de splendides nappes et de field recordings (le début de Unbroken Continuity ou la fin d'Iridescent Fragment), et jouant avec les attentes de l'auditeur, le premier morceau de l'album semblant plus annoncer un album de dark ambient qu'un séisme techno.
Mais cet amas de textures se révèle en réalité servir de squelette à des kicks déviants lorsque le génie de Dadub entre vraiment en action, tailladant les morceaux et fouaillant les chairs des auditeurs restés debout. Le duo ne rigole pas, proposant une techno nihiliste entre deux interludes ambient, qui permettent de respirer avant une nouvelle plongée dans ces ténèbres insondables. La rêverie est finie, et vire au cauchemar, alors que chaque morceau semble pousser plus en avant dans la volonté de détruire certitudes et cervicales. Le paroxysme est véritablement atteint sur Transfer, le rythme soufflant les hommes au fil de mutations impressionnantes, véritable Godzilla musical que rien ne semble pouvoir arrêter.
A peine apaisé par deux derniers morceaux plus calmes, You Are Eternity est un terrifiant voyage dans les tourments d'une techno très demandante, et qui laissera un goût de cendres dans la bouche en invitant à contempler les ruines fumantes de notre monde. Inutile de chercher à s'échapper une fois l'album lancé, il ne reste plus qu'à contempler et à craindre le monstre, à défaut de pouvoir le dompter.