Ne commençons pas à pleurer. You Want It Darker est loin d’être l’œuvre d’un agonisant, plutôt celle d’un homme en pleine possession de ce qu’il lui reste de moyens. Un chanteur éternel, immuable, qui est allé au bout de son art. Depuis longtemps, Leonard Cohen n’a plus rien à prouver. You Want It Darker s’écoule dans un sillon déjà ouvert : les mélodies, les arrangements, les chœurs féminins, l’écriture sont ceux qu’on connaît par cœur, qu’on a entendus dans les précédents disques du vieux maître. En juillet dernier, Leonard Cohen écrivait à son ancienne compagne et agonisante muse Marianne Ihlen (celle de So Long, Marianne) une lettre d’adieu dans laquelle il confiait qu’il n’allait pas tarder à la rejoindre. L'album est court (seulement neuf pistes, et huit chansons en réalité, la dernière étant une version en quatuor à cordes de Treaty), la voix y desséchée et fatiguée comme celle de Johnny Cash sur ses tout derniers enregistrements, et la tonalité du disque tangue entre rétrospection, résignation, citations religieuses et pesanteur. A 82 ans, Leonard Cohen livre album apaisé et profond, son dernier témoignage. Leonard Cohen a créé ce style qui lui colle si bien à la peau, il n’a plus à l’affirmer. La nouveauté vient des chœurs masculins, ceux de la synagogue de Leonard Cohen à Montréal. Un état de semi-somnolence au cours de ces ballades nostalgiques et légères, qui nous abandonnent. Leonard nous laisse à la croisée des chemins... le poète tient à finir lui-même sa route.