Après les nombreux changements de personnel entre 1967 et 1972, Tangerine Dream se stabilise autour de l’éternel Edgar Froese, du fidèle Chris Franke et du petit nouveau Peter Baumann. Froese n’est pas spécialement impressionné par la musicalité de Baumann, alors âgé de 19 ans. Ce dernier ne sait pas spécialement jouer du clavier, mais il aurait un don pour tirer des sons spectaculaires de son synthétiseur… Pour l’enregistrement de Zeit, littéralement « Temps », Florian Fricke de Popol Vuh prête son Moog Modulaire PIII hors de prix à Tangerine Dream. A partir de mai 1972, les studios Dierks sont le théâtre d’expérimentations sonores inédites, à base de synthétiseurs VCS-3, de Moogs, d’orgues, de générateurs de sons et de violoncelles (quatre, pour être précis…).
Fruit d’une réflexion acharnée, l’objectif de Zeit est de dépeindre le temps dans sa forme, sa ryhtmique, sa mélodie, de transposer ses propriétés premières sur bande sonore. Mais le temps, ou en tout cas l’image du temps dans sa quintessence la plus pure, n’existe que dans la perception qu’en a le sujet : or Zeit, ce n’est pas le temps, c’est le temps selon Tangerine Dream, en mai 1972. Les considérations subjectives et contextuelles sont primordiales dans l’analyse d’une œuvre censée retransmettre tel sujet. Et force est de constater que, selon les trois membres de Tangerine Dream, le temps est le triste synonyme de l’ennui le plus profond. Abandonnées les rythmiques déjà discrètes des deux premiers albums, ici la batterie n’est plus. Elle laisse sa place aux expérimentations extrêmes des synthétiseurs par Baumann, Franke et Froese, ces derniers étant plus à même de fournir absconseries que réelle production musicale. Zeit représente l’anti-musique dans sa splendeur la plus déstabilisante. Destinée à toucher l’être dans son psychisme, elle ne fait au meilleur des cas que titiller sa curiosité. Interminable (quatre morceaux de vingt minutes), elle surpasse Tales From Topographic Oceans de Yes, paru un an plus tard, dans la futilité philosophique et l’appel au suicide. 74 minutes d’ambiances, d’expérimentations, de jams synthétiques sans rythme, sans jeu, sans propos. Ah, si : le temps, c’est long.
Loin de l’auteur de ces présentes lignes l’idée de s’ériger en unique défenseur du bon goût quant à la musique de Tangerine Dream, quoi qu’il le mérite, mais ce Zeit, adulé par nombre de musicologues acharnés, attirés par l’abstrus autant que par le mystérieux, ne vaut rien dans l’immense discographie du groupe. Il suffit de constater l’adoration du roi de l’ésotérique, Steven Wilson, envers ce Zeit qu’il considère comme le meilleur album de tous les temps, pour comprendre l’impact sibyllin d’un tel ouvrage sur le monde musical de 1972 et subséquent. Heureusement, Tangerine Dream ne fera jamais pire dans l’incompréhensible et le dépréciatif. Pour le meilleur, la fin des années roses approche.