La charmante collection Les trésors de Marvel débarque avec un nouveau numéro, cette fois consacré à l’année 1969. Au programme un échantillon d’histoires de la compagnie de cette année, avec quelques épisodes marquants et certains inédits en France.


Précédemment : c'est 1982, 1973, 1968, 1984 et 1976 qui ont eu droit à leurs numéros bien remplis.


Ce sixième numéro pourrait être la suite du troisième qui s’intéressait à l’année 1968. 1969 est donc le point de bascule vers un nouvel âge pour la compagnie, avec d’anciens artistes qui quittent la compagnie, de nouveaux qui arrivent et un marché qui s’est agrandi pour Marvel, avec la possibilité de sortir plus de titres.


Jack Kirby, qui a forgé le renouveau visuel de Marvel notamment avec les idées nouvelles de Stan Lee, quittera Marvel pour DC en 1970. En 1969 le duo est encore à l’oeuvre sur deux séries, les Quatre Fantastiques et Thor. Les deux épisodes ici proposés relient d’ailleurs les deux, les numéros de 168 et 169 du divin Asgardien offrent ainsi au héros chevelu l’occasion d’aller rencontrer le géant Galactus, bien connu des Fantastiques, qui va lui conter son histoire. Le mystérieux dévoreur de planètes se dote ainsi d’une origine à son image, d’une démesure cosmique mais aussi tragique, comme Stan Lee et Jack Kirby savaient si bien les créer. Théâtral, peut-être, mais assurément réussi, ce duo d’épisodes lève un voile attendu des fans sans proposer une histoire au rabais. Les deux auteurs sont en grande forme.


Deux épisodes des Avengers (les 70 et 71) sont proposés à la suite, ou plutôt les deux derniers d’une petite saga sur trois, où les Avengers sont les pions contraints d’un jeu aux conséquences dangereuses entre Kang et le Maître du Jeu. Ce sont les débuts de cet antagoniste, mais aussi d’une autre équipe, qui aura une descendance discrète mais fructueuse. Avec ces épisodes, le scénariste Roy Thomas, fidèle bras droit de Stan Lee, crée le Sinistre Escadron, pastiche maléfique de la Justice League du concurrent DC. Plus tard une nouvelle version de l’équipe sera crée, toujours par Roy Thomas, dans The Avengers n°85, L’Escadron Suprême, mais bienveillante. Cette version plus positive connaître plusieurs incarnations très réussies, dont l’excellente mini-série de Mark Gruenwald de 1985-1986 et un one-shot en 1989 (republiés à la même époque que ce sixième volume des trésors de Marvel par Panini, ce n’est donc pas un hasard) et sa réecriture en 2003 par J. Michael Straczynski.


En dehors de l’anecdote, ces épisodes sont de facture assez classiques, avec des affrontements divisés en plusieurs équipes, pour un enjeu qui dépasse les Avengers. Le dessin de Sal Buscema est assez commun, presque traditionnel, mais reste efficace.


Un épisode plus marquant de 1969 et même de l’histoire de Marvel, c’est bien le 117 de Captain America qui voit la naissance de Samuel Wilson, alias Le Faucon, premier héros afro-américain. Black Panther lui est antérieur (apparu en 1966) mais reste un héros africain. Cette introduction est contenu dans une suite d’épisodes qui voit l’ennemi Crâne rouge échanger le corps de Captain America, tandis que l’esprit de Steve Rogers est projeté dans le corps du vilain, exilé dans une île qu’on devine lointaine. Un des symboles super-héroiques de la communauté noire apparaît donc comme bien exotique, mais il sera bien utilisé par la suite. L’expressivité du trait de Gene Colan, presque baroque, est bien employé dans un épisode où les faux-semblants sont nombreux, et dont ressort pourtant un nouvel héros.


Après Captain America, voici un autre haut gradé, Captain Marvel. Pour son épisode 17, le héros trouve une nouvelle orientation, après quelques épisodes où l’extra-terrestre et soldat rénégat Kree était plus terre-à-terre. Le héros obtient de nouveaux pouvoirs, un nouveau costume, afin de le rendre plus "marvel", devenant de fait un nouveau super-héros . Une figure aux pouvoirs cosmiques, mais avec une contre-partie humaine et jeune, pour lui garder les pieds sur terre et que les jeunes lecteurs restent intéressés par le personnage. Captain Marvel et l’ado Rick Jones se partagent ainsi le temps de présence physique à tour de rôle. Une situation qui n’est pas sans évoquer un autre Captain Marvel, celui de DC (plus connu maintenant sous le nom de Shazam), petit pied-de-nez à la concurrence. Le nouveau statut-quo est prometteur, d’autant plus avec la plume de Gil Kane, qui se lâche sur ses compositions dynamiques, bien loin de l’habituel casier de cases de certains de ses collègues.


Grâce aux (très bons) films, Les Gardiens de la Galaxie sont maintenant assez connus du grand public. Même si l’équipe vue sur les écrans est bien différente de celle de leur première apparition. Celle-ci dans Marvel Super-Heroes (une revue anthologique qui servait à tester de nouveaux héros et à proposer des aventures inédites) sera bien discrète, il faudra attendre plusieurs années pour qu’ils aient droit à leurs propres aventures (publiée chez nous dans les premiers numéros de la revue Titans de Lug).


C’est bien dommage, car le postulat est intriguant. Dans le futur de l’an 3007, différents représentants et derniers représentants de leur race se retrouvent pour lutter contre l’oppression des Badoons. Derrière ce pitch assez classique, le scénariste Arnold Drake, peu connu du grand public mais à qui on doit quelques bons titres (Doom Patrol, Deadman, etc.) arrive pourtant à créer une histoire assez haletante, avec quelques personnages forts (comme l’astronaute Vance Astro, qui a tout sacrifié pour rien) et une menace oppressante à combattre. Les pages de Gene Colan sont assez chargées, parfois confuses, mais l’énergie qui s’en dégage capture l’attention.


Et maintenant, la suite, et on passe à un autre niveau, avec deux histoires courtes inédites (ou presque, la dernière a été éditée en France en 1979, ça va) de très grande qualité, pour un sixième numéro vraiment généreux en surprises et qui dévoile des facettes mal-connues de Marvel.


Il a été évoqué plus loin que les conditions du marché des comic-books étaient à présent élargies pour Marvel à cette époque, et la compagnie en a profité. Mais si son marché principal était le super-héros, Marvel continuait à publier d’autres genres, dont des productions pour un public féminin (Millie the Model, la série eut droit à deux dérivés en 1969) ou dans ces années le retour du western, des romances ou de l’épouvante. Des titres complètement inédits chez nous, ou presque.


Quel plaisir donc de trouver l’incursion de la compagnie dans la parodie avec Not Brand Echh, avec ici une histoire de son numéro 13 (le dernier, tout ne fonctionnait pas même avec Marvel écrit dessus, ce fut pareil pour d’autres tentatives en dehors de la cape et du collant). Comics de la maison avec les auteurs de la compagnie, Not Brand Echh se moquait des héros du cru ou des tics et clichés du genre.


Dans « Les origines du Silver Simplet », Roy Thomas et Marie Séverin se moquent des jérémiades du Surfeur d’argent, en revisitant son histoire par de nombreuses idées farfelues. D’hérault deGalactus le personnage devient démarcheur intergalactique pour Galacticus, vendeur de foire intercosmique. C’est drôle et bien trouvé, à l’image de toutes les plaisanteries sur certains clichés, comme le discours ampoulé de certains récitatifs chez Marvel, de la police qui passe en gras selon les évènements, des notes de page des comics et d’autres trouvailles qui cassent le quatrième mur. Saluons la traduction de Jérémy Manesse, au top. Marie Séverin, rare femme des comics à cette époque, opte pour un trait cartoon proche de ce qui peut se faire chez Mad, célèbre revue satirique, et c’est un régal trop court, seulement 8 pages.


Qu’on édite enfin Not Brand Echh en France, qu’on puisse se poiler nous aussi !


De poilade il ne sera pas du tout question pour la dernière histoire, avec un épisode extrait de Tower of Shadows, tentative de Marvel de relancer des anthologies d’épouvante. Bien entendu, elle est en noir en blanc, comme il se doit, et passer de l’épisode parodique à celui-ci, très sérieux, très angoissant est un sacré cap. L’histoire n’est guère originale, sur un héritage caché dans une maison sinistre, mais prend malgré tout aux tripes, grâce à l’excellent travail de Jim Steranko, au style réaliste et à la composition admirablement bien découpée, aux angles parfaitement étudiés. Une très belle réussite.


Deux (courts) épisodes excitants qui combleront le lectorat le plus blasé, et démontrant aussi toute la richesse d’une compagnie qui vivait un nouvel âge d’or, même si toutes ses tentatives ne seront pas fructueuses. Les autres épisodes offrent un panel plus classique mais assez représentatif de la production de l’époque, qui permettront à un public curieux de découvrir certaines bonnes histoires anciennes mais dont certaines qualités résistent à l’usure du temps.


Les Trésors de Marvel parcourt le temps, et le numéro 7 s’arrêtera à nouveau dans les années 1980, cette fois-ci en 1981.

SimplySmackkk
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le 21 juin 2022

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