Poemes barbares, parce que j'ai songe au recueil de Leconte de Lisle et au cataclysme du dernier poeme. J'ai songe aussi aux scenes mythiques ou un personnage a la nostalgie du passe, sa civilisation etant detruite, aneantie meme ou sur le point d el'etre.
Ces 24 histoires sont a la fois de la poesie et du conte, ce qui n'etonnera aucun lecteur d'Albator ou de Queen emeraldas. Les 24 histoires sont generalement superbes, tres inventives et tres denses, cette fois a rebrousse-poil des histoires inachevees et lentes d'Albator ou de Queen Emeraldas. On observera plsieurs ellipses plus brusques dans la progression du recit. Les 24 histoires sotn intercalees entre les pages 7 et 435 du volume, ce qui fait une moyenne de moins de vingt pages pour les histoires, d'autant qu'il y a quelques pages sautees compensees par le dessin de couverture car les histoires reprises de prepublications dans un magazine commencent sur les pages impaires de droite en general. Du coup, certaines pages paires sautent : 78, 114, 312, 328, 420, mais il arrive aussi que des pages impaires sautent. C'est le cas de la page 59, parce que, par exception, l'histoire suivante est introduite par un dessins sur double page avec un titre. La page 135 saute egalement, meme si elle n'est pas suivie cette fois d'une double page d'illustration.
Par exception, la premiere histoire de 16 pages a six premiers pages colorisees du plus bel effet, quoique tout en sobriete. Les recits sont precedes d'une preface francaise de quatre pages par Florian Rubis et d'une postface traduite du japonais de quatre pages egalement. La postface a ete ecrite en 1998 lors d'une reedition du recueil au Japon par la chanteuse, compositrice et autrice Tokiko Kato.
On retrouve les ingredients classiques des mangas de Leiji Matsumoto, les tableaux de bord avec leurs cadrans, le clair-obscur, les memes nabots face aux memes belles femmes longilignes et chevelues, l'espace, les pointilles pour un decor sous le vent, la brume ou la neige, les gros plans sur les yeux, les vaisseaux spatiaux, etc. Mais, par rapport a Albator et meme Queen emeraldas, on a d'autres facettes avec le monde du western se rapprochant un peu de Gun Frontier, avec des scenes en mer, avec des combats impliquant des hommes primitifs ou des dinosaures, sinon des elephants ou mammouths, parfois un pont romantique japonais, le desert d'El-Alamein et une cave de l'Egypte antique, des affrontements d'avions durant l'entre-deux-guerres, etc.
Une caracteristique de ce recueil est aussi la presence de nombreuses scenes sexuelles. Celles-ci sont presentees dans la preface comme une commande editoriale du magazine ou etaient publiees les histoires. Cette explication a un inconvenient majeur, celui de faire passer pour du fan service accessoire, d'enrobage, une part essentielle du propos de ce manga. Si les scenes sexuelles de Leiji Matsumoto ne sont pas familieres aux lecteurs d'Albator et de Queen Emeraldas, il faut rappeler que Matsumoto a ecrit Gun frontier, oeuvre d'une certaine envergure ou les scenes sexuelles se multiplient avec une durete et un humour debride qui n'ont rien a envier a Go Nagai. Dans 24 histoires d'un temps lointain, ces scenes obscenes peuvent evidemment etre rapprochees de la philosophie de Gun frontier, c'est le cas evident de "Un jeune homme serieux" qui reprend d'ailleurs d'autres elements a ce predecent manga, mais elles peuvent etre rapprochees aussi de la philosophie d'Albator. La sexualite importe a la survie de l'espece et on a un contraste ambigue, voire derangeant, entre des histoires ou la femme doit dedramatiser ce qui lui arrive, ou les liens familiaux cessent d'etre des tabous et avec d'autres histoires, au moins une en tout cas, ou la femme se donne volontairement a tous les hommes en tirant sur son fiance, mais n'echappe pas a la vengeance. Les enjeux de survie de l'espece amenent a la defense d'une philosophie de la vie a rebours des tendances mediatisees a notre epoque et on retrouve l'idee apre d'affirmer sa liberte. Ce hiatus avec notre epoque ne doit pas pour autant permettre de conclure a un traitement sans egard pour les femmes. Elles sont certes percues selon leurs fonctions reproductrices, mais les portraits de femmes fortes ne manquent pas et la cruaute des hommes a leur egard est aussi epinglee. D'autres choses ambigues se retrouvent dans ces histoires, le cannibalisme, et cela va jusqu'a envisager que le cannibalisme a ete pratique par nos ancetres et utile a la survie de l'espece et donc a l'origine de nos propres vies, une histoire se concluant explicitement sur cette image paradoxalement edifiante.
Un heros Albator revient a quelques reprises dans ces histoires, mais s'agit-il bien du heros que nous connaissons. Il est vrai que si l'Albator de Gun frontier est le meme que celui qui va dans l'espace, les ecarts temporels ne doivent plus nous arreter. Il y a un Albator dans l'histoire des "Hommes-oiseaux du Kilimandjaro". Normalement, il ne pourrait meme pas etre rattache au personnage de Gun Frontier. Il y en a un autre dans Technologirus, mais celui-ci peut difficilement etre l'Albator que nous connaissons pour deux raisons, en laissant le mystere pour preserver les revelations, pour une raison physique puis surtout pour une raison chronologique vu comme il est parle de la Terre. Enfin, dans "Death shadow, le cuirasse de l'espace", on a un Albator plus clairement identifiable, mais il est alors ambigu comme jamais. Il tue sans pitie des femmes qui ont repere la Terre et sa vie organique pour empecher les intrusions. Il realise trop tard que ses femmes avaient du sang humain. Il faut etre tres attentif a ce detail lors de la lecture, sinon on ne comprend pas pourquoi il se repent et parle de survie de l'espece. Si elles n'avaient pas eu de sang humain, donc compatible, ils n'auraient jamais regrette les avoir tuees en fait. Mais cette histoire ne s'arrete pas la et va un peu plus loin.
On voit assez nettement que les recits sont lies a des reflexions qui etaient d'epoque et aussi a des avancees d'epoque. Dans "La Ville morte de Venus", le lecteur non informe peur voir que Matsumoto met a egalite les americains et les sovietiques dans la conquete de Venus dans un futur proche, puis le recit parle des premieres photos de Venus prises par les sovietiques. Matsumoto a ecrit son histoire tout simplement peu de temps apres la revelation des premieres photos de Venus prises par les sovietiques, sachant que la chaleur du sol venusien les avait amenes a se montrer astucieux pour ne pas que le materiel se detruise et recuperer les photos. C'est une des histoires les plus fascinantes du recueil par ailleurs.
Les 24 histoires ne font pas toutes le meme effet, mais rares sont celles que je trouve faibles et meme les histoires les moins reussies ou les moins pertinentes ont un charme particulier pour l'etrangete du recit ou pour des details de traitement. "Les Clones" ou "Le Monde a l'envers" ne sont pas forcement les meilleures histories, mais elles ont des dispositifs qui sidereront inevitablement le lecteur, et il y en a encore d'autres comme cela. Au passage, les 24 histoires de ce recueil sont nettement superieures a celles du recueil de 25 Histoires d'un monde en quatre dimensions.
Les recits ne sont pas du tout realistes, ils sont oniriques et sur la derniere page on a parfois un texte qui nous fait entrevoir la logique metaphorique suivie par l'auteur. Nous avons droit a plusieurs paradoxes, a une philosophie de l'etrange, avec notamment cette idee importance d'un temps cyclique et d'un futur qui rejoint le passe soit parce que le temps serait en boucle, soit parce que ce qu'il offre a voir est un peu a l'image du passe ou d'une repetition des actions de survie de l'humanite. On joue parfois a cache-cache avec la localisation. Sommes-nous sur la Terre, sur Mars, sur Venus ? L'auteur ne recule pas devant les fins tragiques radicales et il y mele un humour noir important, ce qui fait de ce manga une oeuvre typique des annees soixante-dix. Il y a une atmosphere anxiogene et delirante qu'on avait dans des bandes dessinees europeennes de l'epoque. L'auteur s'essaie aussi a l'autoderision en imaginant une histoire scabreuse ou il cumule les cliches sur ses pratiques (scene de sexe avec des gros plans qui suggerent mais ne devoilent pas, gros plan sur un oeil, etc.) et tout le long du recit nous avons les bulles d'un groupe de lecteurs qui commentent. Il s'agit d'ados pas experimentes et qui, comme il ne s'agit que de personnages de papier, se permettent d'exprimer leurs attentes graveleuses sans arret. Un moment d'autoderision concerne aussi le recit "L'Amour tragique de la jeune femme du pont de Bikuni" ou le quatrieme mur est egalement brise de maniere surprenante. L'humour est present avec les masques a gaz d'El-Alamein, avec la femme devin parmi les vikings, avec le jeune homme serieux dans une ville du far west, mais le mot de la fin revient a la note tragique, encore que ce ne soit pas sans une note d'humour sarcastique.