Témoignage sans détour ni grandiloquence de la migration :
Amazigh c’est l’humble récit de Mohamed Arejdal, jeune artiste plasticien, mis en image par son professeur et ami Cédric Liano. Le jeune homme a tenté de quitter son Maroc natal pour rejoindre l’Europe dès qu’il a fêté ses dix-huit ans, bercé par les mensonges d’une vie meilleure. Un passage difficile, avorté suite à son arrestation musclée sur le sol espagnol des îles Canaries : le jeune voyageur, majeur, a été renvoyé sans hésitation et sans ménagement vers son pays d’origine.
Le scénario est linéaire, appuyé sur une chronologie passée mise en parallèle avec les épisodes d’une errance présente dans les rues de Tétouan : des épisodes très courts qui racontent le désespoir d’un jeune migrant confronté à la méfiance de ses compatriotes heureux de vivre là, épisodes qui se révèleront chargés d’une toute autre signification en fin de volume, avec
une intelligence narrative surprenante.
Mohamed, à peine majeur, décide donc de quitter le sud du Maroc et ses parents autant pour lui-même, à la poursuite d’un rêve d’artiste et d’un avenir glorieux sous les promesses occidentales, que pour satisfaire sa mère qui ne cesse de lui asséner sa jalousie maternelle en lui rapportant la prétendue réussite des enfants de ses voisines. Sans information sur les débouchés scolaires offerts au sein de son propre pays, le jeune homme rêve de rejoindre le système scolaire européen au sein duquel il imagine s’ouvrir les portes d’une carrière de peintre et d’illustrateur.
Le récit raconte ainsi
les péripéties classiques du départ et du voyage :
fuite nocturne après le rassemblement plus ou moins légal de la somme nécessaire au passage, obstacles chargés d’angoisse et de danger, isolement du voyage renforcé par la peur d’y perdre ses compagnons, traversée chaotique et lugubre en barque surchargée d’une portion d’Atlantique, et différents accueils, policiers, locaux et administratifs. C’est la peur constante qui semble guider l’errance incertaine des candidats à l’exil. Pour autant,
le témoignage reste plein d’innocence et d’espoir,
jeunesse sereine malgré les pics d’angoisse ponctuels : Mohamed plie souvent pour tenter de glisser sans heurt vers la liberté mais ne se laisse jamais briser par les tentatives violentes du système de répression. C’est probablement la force du scénario que de ne jamais céder au poids du pathos, et c’est la force de caractère du jeune auteur qui se livre qui tire le témoignage vers le haut où le voyageur ne voit jamais que les aspects positifs de l’expérience.
Malgré la rancœur et les jugements hâtifs. Malgré l’amertume face au déni d’humanité.
Comme ça, dans une fourgonnette puant la pisse, la misère et la
peur, qu’ils nous renvoient dans le pays que nous avons fui de toutes
nos forces.
Le dessin de Cédric Liano alterne entre dessin doux et portraits fins, parfois rudes – pour raconter pleinement le voyage, pour sublimer l’aventure dans ce qu’elle a de plus intime et de plus humain – et trait dénudé, personnages en filigrane - pour illustrer simplement l’expérience artistique présente. Deux moments en deux univers, nuances de gris en touches d’aquarelle contre noir et blanc direct, simplissime et essentiel. Au plus près des visages dans le récit principal, le dessin exprime pleinement
l’insouciance optimiste du personnage principal.
Si Amazigh n’est pas la bande-dessinée de référence sur le sujet de la migration, trop centrée sur son aspect témoignage avec le décalage final en vue, l’album reste complet et digne d’intérêt pour se confronter aux mécanismes de la migration d’un point de vue africain, loin des jugements sans connaissance d’une opinion générale occidentale que les médias invitent souvent à nier la misère, les origines du départ. L’étudiant et le professeur racontent ainsi sans misérabilisme le départ des jeunes marocains vers un eldorado fantasmé et l’impasse à laquelle ils se heurtent dans le réel d’un passage surveillé, sans oublier de rappeler que malgré l’ambiance et les apparences, le Maroc n’est pas un pays aussi en retard que ses habitants se le laissent dire et que le vivier d’une nouvelle génération affamée d’émancipation peut y trouver les moyens de se cultiver, de se construire un avenir collectif et d’y
gagner la liberté.