Sans atteindre l’envergure et la renommée de ses plus illustres pairs, Makoto Raiku est toutefois parvenu à faire son nid dans le genre polymorphe et pléthorique qu’est le shōnen : Zatchbell y est forcément pour beaucoup, lui qui tenait pourtant de l’anomalie tant sa simplicité narrative et son style graphique limité semblaient pouvoir contrevenir à son succès. L’autre fer de lance de sa carrière, quoique moins connu que le susnommé, s’inscrit dans une même veine exaltée : Animal Kingdom.
Un titre à destination des plus jeunes de prime abord, d’ailleurs catalogué comme tel, ce que ses premiers volumes justifieront assez bien avec sa signature enfantine à plusieurs niveaux : quête initiatique, animaux barjots, gags aux forts relents de « pipi-caca »… mais sans se départager d’une teneur sombre préfigurant du reste de l’intrigue où la sélection naturelle fera partie intégrante du décor. Un théâtre sauvage que nous apprendrons être situé des millénaires après notre ère, où l’Humain n’a plus sa place : faute de civilisation dominante, la loi du plus fort prédomine parmi les prédateurs et proies, toutes et tous rendus plus intelligents au gré du récit mais incapable de communiquer entre espèces.
C’est dans ce contexte primal où Taroza entre en scène : doué du don de compréhension et de communication avec tous les animaux, celui-ci va rayonner peu à peu au-delà du seul cercle des ratons-laveurs l’ayant adopté. Raiku emprunte évidemment au fameux Mowgli de Rudyard Kipling, avec la particularité de creuser sans cesse la question du cycle de la vie et de la pyramide alimentaire : un processus entaché de souffrance pour l’auteur et son personnage phare, bien décidé à transcender le rapport de prédation animant le quotidien de ses contemporains bestiaux… et ainsi les élever au-dessus de leur condition.
Au gré de ses excentricités caractéristiques, de son humour faisant souvent mouche et de son alternance des tons, Animal Kingdom surpasse aisément ses faiblesses intrinsèques : celles-ci ont d’ailleurs tôt fait de tourner à son avantage, à l’image de ce dessin toujours aussi balourd mais, ô combien mais, vecteur d’une générosité palpable à souhait. Nous en tenons pour preuve sa propension à exagérer (le mot est faible) la taille de ses protagonistes à quatre pattes, les rapports de grandeur n’ayant pour ainsi dire rien à voir avec la réalité pour mieux grossir le trait : la menace incarnée par les carnivores n’en est ainsi que plus forte, rejoignant la capacité du récit à troquer ses atouts comiques pour d’autres plus dramatiques.
Chemin faisant, son étiquette « jeunesse » tend finalement à s’estomper au profit d’une intrigue davantage mature, la grande faucheuse prenant ça et là ses quartiers en suivant le développement, constant, des thématiques majeurs d’Animal Kingdom : l’évolution de Taroza ne le cristallise que trop bien, l’ellipse à mi-parcours projetant l’intrigue dans une dimension aux antipodes de ses débuts. Le prisme du shōnen à la nekketsu s’active alors à plein régime, ses arcanes de puissance et de duels titanesques prenant le pas sur la simplicité première de ses prétentions : là n’est toutefois que la signature de son auteur, coutumier de la débauche d’effets sans trop de garde-fou.
Mais cela n’est pas déplaisant, au contraire : s’il fallait lui tenir rigueur de quoi que ce soit, ce serait plus ses quelques errances narratives dans ce dénouement haut en couleur, moult rebondissements symptomatiques du genre, le cumul de personnages tiers dispensables et une écriture de fil en aiguille moins cohérente venant abîmer son efficacité originelle. Trop d’idées (notamment tardives) pour son propre bien en somme, mais sans pour autant saborder Animal Kingdom dans les grandes largeurs : preuve en est de sa seconde lecture plutôt satisfaisante, et surtout plaisante, nous confortant dans l’idée que Makoto Raiku, outre le fait qu’il soit un drôle d’énergumène, est définitivement sous-estimé.